Par Mamadou Sèye
On a voulu faire grand et généreux, on a cru qu’un geste symbolique suffisait à hisser un pays au centre du monde. La Maison des Nations unies de Diamniadio devait être ce geste : un immeuble monumental, un pôle où toutes les agences onusiennes se retrouveraient, un cœur diplomatique flambant neuf. Nous avons offert le terrain, nous avons financé les bâtiments et, pour parachever le rêve, nous avons dit aux agences : « Venez, c’est gratuit. » L’ancien régime y voyait une vitrine, un signe d’ouverture et de puissance douce. Comme si un bâtiment suffisait à traduire une ambition. Aujourd’hui la réalité est crue : le bâtiment est vide, les agences n’y sont pas, elles travaillent là où elles étaient et tout le monde s’en accommode. Il est temps de poser la question sans fard : pourquoi créer un problème là où il n’y en avait pas ?
Avant cette aventure, chaque organisation occupait ses locaux dans Dakar, avec ses équipes et ses programmes. Le pays n’était pas paralysé. Les Nations unies au Sénégal faisaient leur travail et la coopération suivait son cours. C’est nous qui avons voulu centraliser et offrir un écrin neuf. Et voici que les nouvelles autorités, au nom d’une évidence, disent non : non à la gratuité perpétuelle, non au confort financé par un budget national qui a d’autres urgences. Dans un pays où chaque franc compte, il faut avoir le courage de dire que cette querelle est secondaire. Les agences n’ont qu’à rester à leur place.
Dès lors, le bon sens commande de ne pas laisser pourrir cet immense espace vide mais de lui trouver une autre vocation, sans attendre. Ce qui est construit peut servir à autre chose, et d’ailleurs à quelque chose de plus audacieux. Pas un simple centre de conférences : nous avons déjà le CICAD, qui joue ce rôle. Ce qu’il faut, c’est un concept nouveau. Pourquoi ne pas en faire un pôle d’innovation, un véritable campus numérique et scientifique ? Pourquoi ne pas transformer ces plateaux en hub technologique, en incubateurs d’entreprises, en espace pour les géants du numérique qui cherchent en Afrique des bases solides ? Pourquoi ne pas le convertir en centre universitaire d’excellence, où les jeunes du continent viendraient se former aux métiers d’avenir ? Pourquoi ne pas offrir ces espaces aux institutions africaines régionales qui manquent d’infrastructures modernes ? Ce bâtiment peut devenir une pièce maîtresse d’un autre jeu : celui de l’intelligence, de la créativité et de l’avenir.
Les solutions sont là. Ce qui manque, c’est la volonté de rompre avec l’esprit du caprice hérité du passé. Diamniadio n’a pas besoin d’un monument fantôme, il a besoin d’une fonction. Tant mieux si les agences finissent par accepter les nouvelles conditions et viennent ; mais si elles n’en veulent pas, que l’on passe à autre chose. Un Etat ne se construit pas sur l’attente des autres. Il se construit sur sa propre énergie.
On a trop souvent confondu symbole et substance. La Maison des Nations unies devait être un symbole ; elle est devenue un révélateur. Révélateur d’une naïveté : croire que l’on se grandit en offrant sans calcul. Révélateur aussi d’une faiblesse : bâtir sans vision économique. Le Sénégal a mieux à faire que de subventionner le confort d’agences internationales. Ce bâtiment existe ; faisons-en une richesse, un centre d’intelligence et de rayonnement. Et que les agences, sans tapage ni drame, continuent leur travail là où elles sont. Après tout, elles n’ont qu’à rester à leur place.