Présidentielle ivoirienne: le défi d’une démocratie inclusive

Par Mamadou Sèye

Il y a des instants où les nations se trouvent à un croisement décisif, où la volonté d’asseoir la légitimité démocratique se heurte aux réflexes d’exclusion hérités d’un passé à la fois douloureux et non soldé. La Côte d’Ivoire s’achemine doucement vers une présidentielle dont les contours suscitent déjà des interrogations légitimes. Et voilà que la perspective d’une éviction de Tidjane Thiam du processus électoral pour cause d’ »ivoirité » refait surface, ravivant de vieux démons qu’on croyait apaisés.

Le choix du suffrage universel ne se limite pas à la comptabilité des voix. Il repose sur un contrat fondamental entre le peuple et ses institutions. Ce contrat devient fragile, voire caduc, lorsque l’égalité d’accès à la compétition politique est compromise par des considérations identitaires, ethniques ou juridiques instrumentalisées. À ce stade de son évolution politique, la Côte d’Ivoire gagnerait à rompre clairement avec ces archaïsmes. Il n’est plus possible d’évoquer l’émergence et la stabilité tout en cultivant les graines du soupçon.

L’argument d’un prétendu danger que représenterait telle ou telle candidature pour la paix sociale peut être séduisant pour les tenants de l’ordre établi. Mais une démocratie mature ne doit pas craindre ses enfants, même les plus remuants. Si la légitimité populaire devient l’objet d’un filtrage administratif ou d’une lecture restrictive de la citoyenneté, alors le suffrage cesse d’être un acte souverain pour devenir un arrangement oligarchique.

Il ne s’agit pas ici de chanter naïvement les louanges de Tidjane Thiam. Le débat n’est pas autour de sa personne, mais de ce que représente son éventuelle exclusion : une tentative de figer le jeu politique en niant à certains la capacité de contribuer, de proposer, voire de s’imposer. C’est là que surgit la contradiction principale : une élite qui se réclame de la modernité, mais qui peine à se départir des outils sélectifs d’un autre âge.

On pourrait objecter que la stabilité est à ce prix. Mais il n’est de stabilité durable que celle qui repose sur la justice. C’est là toute la leçon des luttes démocratiques passées, y compris en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas en consolidant les murs de l’exclusion qu’on renforce une nation ; c’est en élargissant l’espace du dialogue et de la compétition. Loin de fragiliser un régime, une élection inclusive le légitime davantage.

Et si l’on veut véritablement assainir le jeu politique, c’est par l’épreuve du terrain, du débat et du programme qu’il faut trancher, non par l’entremise de lois à géométrie variable. L’Afrique de demain — celle que nous appelons de nos vœux — ne sera ni une caricature de démocratie occidentale, ni un champ clos pour quelques héritiers politiques. Elle sera une démocratie vivante, structurée par ses propres contradictions, mais capable de les dépasser dans le cadre d’institutions impartiales et ouvertes.

Alors oui, la Côte d’Ivoire se trouve face à un choix qui la dépasse : elle doit dire si elle choisit la maturation démocratique ou le verrouillage prudent, l’inclusion ou le repli. Car il ne suffit pas d’organiser des élections pour être en démocratie : encore faut-il que chacun puisse légitimement s’y présenter. Même Tidjane Thiam.

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