Détente- Leçon de loyauté
Par Mamadou Sèye
Il a deux mois à peine, ce petit berger allemand au regard trop sérieux pour son âge. Il marche comme un enfant qui vient de découvrir ses jambes, renifle tout ce qui bouge, et croit que le monde se résume à une gamelle et un coin d’ombre. On le regarde et on se dit : « Voilà un futur gardien. » Mais pour l’instant, il garde surtout… la porte de la cuisine.
Le matin, dès que le muezzin finit le fajr, le voilà debout avant tout le monde, à aboyer sur les coqs du voisin comme s’il réglait un vieux différend. Et pendant que vous essayez de reprendre votre sommeil, il décide de faire son footing entre les chaussures soigneusement alignées devant la porte. Résultat : une chaussure orpheline et un maître philosophe.
Mais on apprend vite que dresser un chiot, c’est un peu comme éduquer un enfant, ou diriger un petit pays : si vous criez trop, il s’endurcit ; si vous laissez tout passer, il vous grimpe dessus. L’équilibre se trouve entre le « non ! » ferme et la caresse qui rassure.
Le chiot, lui, observe. Il sent vos humeurs mieux qu’un marabout. Quand vous êtes fâché, il baisse les oreilles ; quand vous êtes tranquille, il vous suit partout, fier comme un adjudant. Il ne comprend pas encore vos mots, mais il capte vos intentions. Et c’est là sa plus grande intelligence : il lit le cœur.
A force de patience, il apprend. Il s’assoit quand vous le dites, attend son tour pour manger, reconnaît votre pas avant même de vous voir. Et vous, sans vous en rendre compte, vous changez aussi. Vous devenez plus calme, plus constant, plus cohérent. Parce qu’un chien, ça ne respecte pas le titre ni la prestance — ça respecte la cohérence.
Le soir, on ouvre la case. Il sort, truffe en avant, comme un vrai petit soldat. Il inspecte chaque recoin, s’arrête, écoute. On dirait qu’il sent déjà que ce bout de cour, c’est son territoire à défendre. Le futur gardien prend ses marques.
Alors, vous le regardez faire, avec cette tendresse discrète des gens qui ne veulent pas trop montrer qu’ils s’attachent. Vous repensez à ce que disaient les anciens : « Le bon chien reconnaît la main qui le nourrit. » Et vous vous dites que cette fidélité-là, si simple et si pure, vaut toutes les leçons de morale.
Parce qu’au fond, le chiot vous renvoie votre propre image. Si vous êtes patient, il le devient. Si vous êtes nerveux, il vous imite. Si vous êtes juste, il vous suit les yeux fermés. Dans son silence, il enseigne la rigueur, la constance et l’amour sans condition.
Et quand il viendra vous saluer d’un coup de tête avant de s’allonger à vos pieds, vous comprendrez que le respect, ça ne se commande pas. Ça se mérite, comme la confiance d’un chien qui veille pendant que vous dormez.
Dans cette petite cour sénégalaise où trottine un chiot maladroit, il y a toute une philosophie.
On n’élève pas dans la peur, on éduque dans la présence.
On ne dresse pas par la force, on apprend par le lien.
Et parfois, camarade, il faut un berger allemand pour nous rappeler ce que certains humains oublient : la loyauté ne se dit pas, elle se prouve.