ACWA POWER : Le contrat de la rupture

Par Mamadou Sèye
Ce qui devait être un gouffre financier devient un modèle de souveraineté économique. En renégociant de fond en comble le contrat de dessalement d’eau de mer avec le groupe saoudien ACWA Power, les nouvelles autorités sénégalaises viennent de poser un acte fort : celui d’un Etat qui sait dire non, refaire les comptes, et défendre l’intérêt général sans trembler.

La scène s’est déroulée au Palais présidentiel, dans le calme feutré d’une salle de signature mais avec le poids colossal d’un acte de souveraineté recouvrée. Le Sénégal a paraphé un nouveau contrat avec ACWA POWER, ce géant saoudien de l’énergie et de l’eau, et ce n’est pas une signature de plus. C’est le sceau d’un rééquilibrage historique, un revirement stratégique arraché par les nouvelles autorités qui, à la faveur d’une diplomatie discrète mais ferme, ont refusé de faire du pays une caisse de paiement automatique au bénéfice d’un contrat ficelé à la hâte par l’ancien régime. Le projet d’usine de dessalement d’eau de mer de la Grande Côte n’a pas été abandonné. Il a été repensé, remanié, domestiqué. Et cela change tout.

L’ancien accord, tel que ficelé en mars 2024, engageait l’Etat sur près de 2 000 milliards FCFA sur trente ans, pour un prix de l’eau dépassant 427 FCFA le mètre cube, un coût hors-sol dans un pays où la majorité peine déjà à accéder à une eau de qualité. L’Etat, sans être propriétaire d’une vis, devait s’acquitter chaque année de plus de 65 milliards FCFA, quoi qu’il advienne. La renégociation a d’abord été une suspension. Puis un bras de fer. Ensuite un voyage présidentiel à Riyad. Enfin un accord.

Aujourd’hui, les chiffres sont là, têtus : le prix du mètre cube tombe à 389,8 FCFA, soit une bouffée d’air pour les finances publiques, et potentiellement pour les ménages à terme. La participation de l’Etat dans le capital du projet, à hauteur de 30 milliards FCFA, marque un changement de paradigme : de simple payeur passif, le Sénégal devient désormais co-actionnaire, avec une voix sur la gestion, les recettes, et les orientations stratégiques. Ce n’est pas seulement un gain comptable, c’est un retour dans la salle des commandes.

Plus impressionnant encore : la capacité solaire passe de 150 à 300 mégawatts crête, couvrant entièrement les besoins de l’usine, et permettant même la revente du surplus à la SENELEC, à un tarif négocié de 18 FCFA/kWh. C’est une manière élégante de lier souveraineté hydraulique et transition énergétique, d’adosser l’un des plus grands projets d’eau du continent à une vision de durabilité. Moins de pollution, moins de dépendance, plus d’intelligence contractuelle. Ce que les nouvelles autorités engrangent ici n’est pas seulement financier. C’est un retour à l’essentiel : servir l’intérêt national au lieu de satisfaire des groupes privés au détriment du bien commun.

Ce dossier ACWA aurait pu rester une simple affaire technique entre ministères et experts. Il est devenu une démonstration politique. Un signal fort. Il n’y aura plus d’arrangements discrets sous la nappe. Plus de contrats imposés au peuple au nom de prétendues urgences. Chaque projet structurant sera scruté, rediscuté, reconfiguré. Avec méthode. Avec courage. Et avec une boussole : l’équité.

A ceux qui doutaient de la capacité de l’Etat à tenir tête à des mastodontes internationaux, la réponse est là. A ceux qui prédisaient que la renégociation allait tout faire capoter, la preuve du contraire est signée et scellée. A ceux qui attendaient de cette nouvelle équipe autre chose qu’un changement de casting, ce contrat offre le premier vrai tournant stratégique : un gouvernement qui négocie non pas pour durer, mais pour soulager. Non pas pour paraître, mais pour corriger.

Ce ne sera ni la dernière bataille, ni la dernière zone d’ombre à éclairer. Mais pour une fois, un projet majeur n’a pas été imposé, mais discuté. Pas subi, mais repensé. Pas ruineux, mais réaligné. Le peuple ne boira pas de l’eau au goût de dette éternelle. Il boira, bientôt, une eau financée avec intelligence, conçue dans le respect du réel, et gérée avec ambition.

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