Détente-« Mon amour, on va avoir… une co-locataire »

Par Mamadou Sèye

Il y a dans certaines maisons sénégalaises une tension qu’aucun délestage ne peut surpasser : le moment où un homme doit annoncer à sa première épouse que la deuxième arrive. Ce n’est ni une guerre ni une fête. C’est une équation à mille inconnues. Et ceux qui y survivent sans divorce ni drame deviennent, à juste titre, des légendes de quartier.

Car il faut le dire : beaucoup d’hommes veulent prendre une seconde épouse. Très peu savent l’annoncer. Le scénario est souvent le même. Monsieur tourne autour du pot pendant des semaines. Il change d’humeur sans raison. Il devient doux comme un agneau, offre des cadeaux ou fait des compliments inhabituels. Parfois même, il propose une sortie surprise au restaurant — un comportement si rare qu’il suscite immédiatement la méfiance.

Puis vient la phrase redoutée : « Chérie, il faut qu’on parle. »
Et là, tout s’arrête. Les enfants se figent. Le ventilateur continue de tourner, mais l’air devient irrespirable. Madame devine. Elle devine toujours. Elle ne sait pas encore le prénom, ni l’âge, ni l’origine… mais elle sent la trahison arriver comme un mauvais vent d’hivernage.

Alors il essaie de minimiser. Il utilise des termes vagues :
« Une sœur dans la difficulté. »
« Une aide ponctuelle. »
« Une personne que j’estime beaucoup… et avec qui je compte officialiser. »

D’autres hommes, eux, ont recours à des intermédiaires. L’imam, le frère aîné, la tante paternelle : tous sont envoyés comme émissaires de paix, porteurs de la nouvelle explosive. Mais les femmes ne sont pas dupes. Elles comprennent vite que si monsieur n’a pas eu le courage de parler lui-même, c’est qu’il sait déjà qu’il pose une bombe à retardement.

Il y a aussi les champions de la diversion. Celui qui déclenche une fausse dispute pour avoir une excuse de sortir pendant trois jours et revenir avec… une dot. Celui qui ment effrontément : « Non, c’est une blague de ses amis. Elle-même sait que je ne suis pas intéressé. » Et trois semaines plus tard, on apprend qu’il l’a épousée discrètement à Médina Gounass un jeudi matin.

Mais attention, ce n’est pas une comédie sans conséquences.
Derrière l’ironie, il y a des pleurs, des déceptions, des silences pesants. Les femmes encaissent plus qu’elles n’extériorisent. Certaines vivent cela comme une trahison profonde. D’autres comme une injustice culturelle : elles ont tout donné à l’homme — jeunesse, enfants, patience — et voilà qu’on les “associe” à une rivale sans consultation.

Et pourtant, dans ce même pays, la polygamie est parfaitement admise par la loi et souvent justifiée par la religion. Alors l’homme, sûr de ses droits mais pas de ses moyens ni de ses nerfs, tente de convaincre :
« Ce n’est pas une question d’amour. C’est une responsabilité. »
« Je t’aimerai toujours. Elle ne te remplacera pas. »
« Tu es la fondation. Elle, c’est juste un étage. »

Mais très vite, il réalise que ce qu’il a construit, c’est plutôt un immeuble en zone sismique.

Les hommes qui vivent cela développent des compétences hors du commun :
négociateurs habiles, diplomates domestiques, agents de maintien de l’ordre émotionnel. Ils savent que le moindre mot peut déclencher une grève du sourire, un exil temporaire chez la belle-famille ou une destruction méthodique de leur téléphone portable.

Dans les quartiers, on en parle à mi-voix, entre admiration moqueuse et crainte sincère. Le nouveau polygame est scruté, évalué, commenté. On guette sa tenue, sa démarche, son regard. Un homme qui a réussi à faire cohabiter deux épouses en paix est un cas d’école. On lui donne des surnoms : « le funambule », « le ministre des affaires intérieures », ou plus simplement… « le fou courageux ».

Mais il faut le dire : parfois, ça marche.
Oui, il existe des foyers polygames où les co-épouses se respectent, coopèrent, s’organisent. Par intelligence, par foi, par résignation ou par volonté de paix. Dans ces maisons-là, le mari est souvent effacé, humble, presque effrayé par l’équilibre qu’il a contribué à créer.

Et puis, il y a ceux qui, n’ayant pas appris la leçon, préparent la troisième sans avoir fini de réparer les dégâts de la seconde. Ceux-là ne méritent pas de ligne. Seulement une prière.


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