Dialogue national: l’appel, les angles morts et la tentation du simulacre

Par Mamadou Sèye

Il y a, dans l’appel au dialogue national lancé par le président Bassirou Diomaye Faye, une clarté d’intention qui tranche avec les pesanteurs du moment. L’acte, en soi, est politique dans le sens le plus noble du terme : ouvrir une brèche dans le bruit des certitudes, tendre la main au pays réel, conjuguer la légitimité électorale à la légitimité morale du collectif. Cela pourrait sembler banal, presque attendu, si notre histoire récente n’avait pas transformé le mot dialogue en accessoire de décor, en comédie de salon où les élites jouent à la démocratie pendant que le peuple, lui, attend le pain, l’eau, l’école et la justice.

Mais attention, la noblesse d’un geste ne garantit pas sa fécondité. Surtout quand l’Histoire avance à pas de loup.

Le moment est prometteur, le terrain miné

Il faut dire les choses telles qu’elles sont : l’heure est grave mais féconde. Le Sénégal sort d’une séquence convulsive. Nous avons frôlé le gouffre. Il y a eu des morts, des emprisonnements massifs, des humiliations tues, des exils solitaires. La victoire du président Faye ne clôt pas cette page : elle l’ouvre. Elle oblige à penser le pouvoir autrement, à le désacraliser sans le profaner, à le restituer à ceux qui, trop longtemps, en ont été exclus. Mais cette refondation passe par un choix stratégique : dialoguer, certes, mais avec qui ? Sur quoi ? Pour quoi faire ?

Les slogans, fussent-ils révolutionnaires, ne suffisent plus. L’éthique de la sincérité doit précéder la mécanique des palabres.

Un rapport de force asymétrique : arme ou épreuve ?

Soyons clairs : le rapport de force n’est pas en faveur de l’opposition traditionnelle. Elle est exsangue, désorientée, encore ivre de son propre déclin. Elle ne peut exiger, que murmurer. Et ce murmure-là, dans un contexte de rupture, mérite tout de même d’être entendu — non pour lui redonner artificiellement un poids qu’elle n’a plus, mais pour ne pas céder à l’ivresse du pouvoir total. L’Histoire nous l’a appris : même le plus révolutionnaire des pouvoirs, lorsqu’il devient sourd, prépare sa propre fossilisation.

Le dialogue doit donc être inclusif, mais pas confus. Ouvert, mais pas oecuménique au point d’en perdre son tranchant.

La proposition Tine : une belle idée, un mauvais moment

Alioune Tine, fidèle à lui-même, a proposé une rencontre entre Diomaye, Sonko et Macky Sall. L’intention est généreuse. Le symbole, puissant. Mais le timing, catastrophique. Dans un pays où l’on réclame justice, où le mot reddition des comptes a été érigé en principe fondateur, une telle scène risquerait de passer pour une transaction entre initiés. Que dira le jeune vendeur ambulant qui a perdu un œil ? Que pensera la mère du militant tombé sous les balles ? Le pardon ne précède pas la vérité. La réconciliation n’a de sens que si elle est adossée à une justice lucide, même incomplète.

Nous ne sommes pas dans un roman. Nous sommes dans une République. Et une République digne de ce nom ne peut confondre apaisement et amnistie implicite.

Un dialogue exigeant : penser la méthode avant le message

Il ne faut pas rater cette séquence. Le dialogue national ne peut être une foire aux revendications ni une kermesse de notables. Il doit être radical — au sens étymologique : aller à la racine. Repenser nos institutions, décoloniser nos imaginaires économiques, reconstruire la souveraineté à partir des territoires. La justice sociale ne viendra pas d’une table ronde ; elle viendra de décisions courageuses, d’arbitrages douloureux, de ruptures assumées.

Ce que nous devons construire, c’est un dialogue structurant, articulé autour de trois piliers : la mémoire, pour ne pas trahir ceux qui ont payé le prix de cette transition ; la méthode, pour garantir que la parole ne se dissout pas dans le bavardage ; et la matrice politique, pour définir ensemble ce que signifie gouverner un État populaire dans un monde capitaliste hostile.

Pour une parole d’État incarnée, humble et forte

Le président Faye, jeune encore mais déjà habité par le poids de l’Histoire, a une carte rare en main : celle de l’authenticité. Il est, jusqu’ici, demeuré fidèle à une trajectoire sans compromission. Le peuple ne lui demande pas de pactiser, mais d’expliquer. Pas de concéder, mais de transformer. Pas d’inviter tout le monde autour de la table, mais de redonner sens à la parole publique. Le vrai dialogue commence quand l’État cesse de parler pour lui-même, et commence à écouter le pays profond, non pour l’amadouer, mais pour le servir.

La leçon de Mao, revue à l’aune du Sahel

Je sais ce que certains penseront : les maoïstes, même dégénérés, voient des luttes de classes partout. Peut-être. Mais ce que nous savons, c’est qu’un État populaire, pour durer, ne peut pas dialoguer comme un club d’anciens élèves. Il doit dialoguer comme on laboure une terre : profondément, méthodiquement, sans crainte de déranger.

Le moment est venu d’arracher au mot dialogue sa banalité. De lui redonner sa puissance subversive. Et d’en faire, non une pause dans le mouvement, mais son accélérateur.

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