Par Mamadou Sèye
Ceux qui croyaient le Sénégal endormi se sont lourdement trompés. Ceux qui rêvaient d’un régime replié sur lui-même, englué dans ses balbutiements de gouvernance, doivent désormais ravaler leur sarcasme. En quelques mois à peine, la diplomatie sénégalaise a déployé une géométrie de mouvement et d’audace qui ridiculise les accusations de repli, d’inexpérience ou de populisme diplomatique. Que cela plaise ou non, le Sénégal est de retour dans l’histoire — pas en quémandeur, mais en acteur assumé.
Le point de départ est clair : une demande. Celle du président nigérian, Bola Tinubu, à son homologue fraîchement élu, Bassirou Diomaye Faye. Il ne lui demande pas de faire de la figuration, encore moins d’intervenir comme sous-traitant de la CEDEAO. Il l’invite à jouer les bons offices dans la crise entre l’organisation sous-régionale et l’Alliance des Etats du Sahel. Cela, dans une Afrique de l’Ouest fracturée, où les anciens mécanismes d’intégration sont en crise profonde, et où les injonctions néocoloniales n’intimident plus personne. Réponse du Sénégal ? Présent. Mais pas à n’importe quel prix.
C’est cette vision — claire, souveraine, articulée — que met en œuvre le Premier ministre Ousmane Sonko dans sa tournée diplomatique. Qu’il soit entendu une bonne fois : il ne joue pas à l’internationaliste autoproclamé, il déroule une feuille de route définie par le chef de l’Etat. Et cette feuille de route, loin des frilosités de la diplomatie couchée, dit non aux ruptures stupides, non aux fidélités aveugles, non aux chantages.
La rencontre du 22 mai entre la CEDEAO et l’AES n’est pas un miracle. C’est un signal. Elle prouve qu’il existe encore des voix capables d’arracher les peuples au dogmatisme des blocs. Qu’un pays peut parler à tous, même quand les autres s’invectivent. Qu’on peut proposer sans imposer, dialoguer sans capituler, écouter sans s’écraser.
Mais il faut croire que cette vision dérange. Que la photo d’un Premier ministre sénégalais accueilli avec chaleur à Ouagadougou, reçu à Abidjan, en route vers Freetown et Conakry, provoque de l’urticaire chez certains. On entend déjà les vieilles castes, les diplômés de la servilité, hurler au chaos, à l’improvisation, à l’alignement sur les anti-systèmes. Faux. Trois fois faux.
Ce qui est en train de se jouer, c’est un basculement stratégique. Le Sénégal assume de redevenir ce qu’il a été : un pôle. Un pivot. Une force tranquille mais redoutable. Il ne cherche pas à plaire. Il cherche à compter. Il ne veut pas se fondre dans les servitudes d’antan. Il veut peser dans l’architecture d’un nouvel équilibre régional. Et cela ne s’obtient ni en quémandant à Paris, ni en quémandant à Abuja.
Même le geste, discret mais décisif, posé après l’élection à la tête de la Banque africaine de développement, entre dans cette logique. Le Premier ministre Ousmane Sonko a félicité le candidat mauritanien pour sa victoire — tout en saluant la campagne digne et respectée du candidat sénégalais. Dans un continent encore rongé par les réflexes claniques et les nationalismes étroits, ce geste est fort. Il dit que, parfois, ce n’est pas une patrie contre une autre, mais l’Afrique qui gagne.
Alors oui, que les techniciens des vieilles alliances tremblent. Que les professionnels de la diplomatie mondaine s’étouffent dans leurs canapés. Car cette diplomatie sénégalaise-là n’a pas besoin d’exister pour les rassurer. Elle existe pour restituer au peuple sénégalais sa souveraineté sur le réel.
Et c’est cela que beaucoup n’ont pas compris. Le duo Diomaye–Sonko n’est pas une anomalie dans les relations internationales : c’est un symptôme de ce que l’Afrique exige désormais de ses dirigeants. Pas des marionnettes, mais des hommes debout. Pas des valets, mais des voix. Pas des figurants, mais des bâtisseurs.
La suite de la tournée sera regardée à la loupe. Mais une chose est certaine : les lignes bougent. Et le Sénégal pousse. Cela ne plaira pas aux petits clercs de l’ordre ancien. Mais cela plaît à l’histoire.
Et aujourd’hui, plus que jamais : c’est l’Afrique qui gagne.