Par Mamadou Sèye
L’Alliance pour la République (APR), ou ce qu’il en reste, a tenu une conférence de presse qui restera dans les annales du surréalisme politique sénégalais. L’un de ses arguments phares ? « La surfacturation n’est pas une infraction au Sénégal ». Rien que cela.
Il faudrait donc comprendre, à en croire ces ex-dirigeants, que faire payer un marché public quatre fois son prix réel ne relève pas du pénal. Que ponctionner l’argent public par des procédés grossiers d’inflation de factures serait, non pas un vol, mais une ruse économique. C’est une défense qui ferait rire si elle n’était pas aussi grave. A ce rythme, il faudra aussi décriminaliser le faux et usage de faux, le blanchiment, la corruption passive et les conflits d’intérêts.
Soyons clairs : la surfacturation n’est pas un mot magique dans le Code pénal, mais c’est une pratique qui relève très souvent de plusieurs délits bien définis : détournement de deniers publics, escroquerie portant sur des fonds publics, complicité de faux, entente délictueuse, ou encore violation des règles de passation des marchés publics. La Cour des comptes, l’IGE, l’ARMP ou encore l’OFNAC l’ont démontré dans de nombreux rapports. Il existe même une jurisprudence sénégalaise sur des cas où la surfacturation a été sanctionnée par la justice.
Ce que dit donc l’APR, c’est que pendant douze ans, on a pu se permettre de faire passer des lignes budgétaires faramineuses sans crainte, puisque, selon eux, le code pénal sénégalais n’a pas prévu le mot exact. C’est là qu’ils se trahissent. Car ils avouent que la surfacturation a bien existé. Et que ce qui est en cause, ce n’est pas l’innocence, mais la qualité du bouclier juridique autour du crime économique.
En réalité, l’APR est piégée dans une contradiction insoluble : elle veut se défendre sans rien avouer, mais elle finit par dire trop. En justifiant la surfacturation par son prétendu vide juridique, elle finit par admettre qu’elle était courante. En niant sa criminalité, elle la banalise. Et en appelant à l’indulgence, elle la confirme.
Nous sommes dans un moment de reddition des comptes. Ce n’est pas la syntaxe du Code pénal qui est jugée, c’est l’éthique des actes posés. La justice appréciera, dans chaque dossier, si les faits relèvent ou non d’infractions. Mais que ceux qui ont organisé, couvert ou profité de la dilapidation des ressources publiques viennent nous expliquer que cela n’est « pas interdit », c’est insulter l’intelligence nationale.
L’impunité ne se décrète pas au micro d’un hôtel ou d’un siège. Elle ne se négocie pas au prix de la mauvaise foi. Et surtout, elle ne se théorise pas sur la place publique au nom d’un cynisme juridique de circonstance.