Le fisc, cet acte de souveraineté

Par Mamadou Sèye

Il fallait bien que ça arrive un jour : que le Sénégal cesse de jouer les figurants dans les champs pétroliers qu’on lui a collés sur le dos comme des tatouages exotiques pour investisseurs pressés. Et ce jour-là, figurez-vous, il ne s’est pas fait annoncer par un discours, ni par un tweet vengeur. Il s’est présenté comme un fonctionnaire du fisc : modeste, technique, précis — mais implacable.

Le fisc sénégalais, dans ce qu’il a de plus cartésien et moins romantique, vient de signifier à la multinationale australienne Woodside qu’il est temps de passer à la caisse. Montant du rappel : plus de 41 milliards de FCFA. Rien d’irrationnel, rien d’excessif, juste ce que nos lois permettent de réclamer à une entreprise qui exploite une ressource appartenant à tous les Sénégalais — pas à une poignée de partenaires à costume huilé.

Et là, bien sûr, tout le monde s’affole. La presse économique internationale, les cabinets d’experts, les milieux d’affaires… On parle de « risque pays », de « sécurité juridique », d’ »environnement des affaires détérioré ». On oublie commodément de parler des risques que court un pays qui ne collecte pas l’impôt là où il se trouve vraiment — c’est-à-dire dans les flux d’or noir, pas dans les maigres poches des boutiquiers de quartier.

Soyons clairs : ce que l’Etat du Sénégal fait ici, c’est précisément ce que les citoyens attendaient depuis longtemps. Récupérer les ressources, non par une nationalisation fougueuse, mais par une rigueur administrative. Payer les salaires sans quémander à Bretton Woods. Eponger la dette paysanne sans supplier les agences de notation. Honorer les urgences sociales sans dépendre du bon vouloir de Paris ou de Pékin. Bref : gouverner.

Et pour cela, il faut l’outil fondamental de toute souveraineté moderne : le recouvrement fiscal.
Pas d’Etat sans impôts. Pas de dignité sans redevabilité. Pas de justice sans égalité devant le fisc.

Evidemment, Woodside conteste. C’est de bonne guerre. La multinationale s’est tournée vers les juridictions sénégalaises, puis vers l’arbitrage international du CIRDI. Très bien. Nous irons. Et cette fois, le Sénégal ne s’y présentera pas comme un Etat mendiant, mais comme une partie debout. Pas pour réclamer un miracle. Pour réclamer un dû.

Le plus intéressant dans cette affaire, ce n’est pas le montant du redressement. C’est ce qu’il révèle : un Etat qui n’attend plus qu’on l’autorise à exister. Un pouvoir politique qui comprend qu’il est désormais comptable, non pas auprès des multinationales ou des institutions de crédit, mais auprès de son peuple.

On pourrait dire que c’est de l’idéologie. C’est possible. Mais alors, rendons grâce aux idéologies qui permettent de payer les salaires, d’acheter du matériel hospitalier, d’effacer les dettes des paysans. Que mille redressements fiscaux fleurissent, si c’est cela le prix d’un peu d’autonomie.

Le capitalisme se veut global, les Etats doivent être intelligents. Il n’y a pas de contradiction à accueillir des partenaires internationaux, mais il faut qu’ils sachent que le Sénégal n’est plus ce terrain vague sans gardien. Ici, désormais, on paie ce qu’on doit.


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