Par Mamadou Sèye
lis sont arrivés avec des mots nouveaux, des symboles différents, une posture calme… et soudain, c’est le tissu de leurs vêtements qui dérange. Après les fauteuils qui « balancent », voilà les boubous qui affolent. Une chronique douce-amère sur un malaise plus profond qu’il n’y paraît.
On croyait avoir tout vu, mais non. Après les fauteuils « qui balancent », voilà qu’on s’en prend aux boubous de ceux qui dirigent nos institutions. Les étoffes, les coupes, les broderies. Leur origine, leur prix supposé, leur port altier. Tout y passe. Parce qu’évidemment, le plus grand danger qui guette le pays aujourd’hui… c’est un Président en grand boubou blanc.
Ce n’est plus de politique qu’il s’agit, ni même d’économie. Encore moins de programmes. Non. L’urgence nationale, ce serait de mesurer les ourlets et de soupçonner les tailleurs. Il faut croire que nos nouvelles autorités ne gouvernent pas seulement : elles traumatisent. Rien que leur posture, leur manière d’entrer dans une salle, leur façon de s’asseoir ou de porter un tissu local suffit à réveiller mille névroses postcoloniales. Ce n’est pas une révolution qu’ils ont amorcée : c’est une séance de psychanalyse collective, sans divan.
Parce que dans le fond, qu’est-ce qu’on leur reproche ? De ne pas faire « assez pauvre » ? De ne pas jouer au Président économe jusqu’à la caricature ? D’oser s’habiller dignement, traditionnellement, avec fierté ? La question du coût n’est qu’un faux-fuyant. Depuis quand exige-t-on des dirigeants qu’ils s’habillent à la friperie du coin ? Et que dire des costumes sur mesure, des cravates en soie et des montres suisses qui ornaient les poignets des précédents ? Ils ne dérangeaient personne, eux. Parce qu’ils étaient… normatifs. Occidentaux. Prévisibles.
Aujourd’hui, les fauteuils ont une courbe un peu libre ? C’est suspect. Le boubou est trop bien repassé ? C’est louche. La démarche est assurée ? Forcément, c’est du théâtre. La vérité, c’est qu’on ne pardonne pas à ces hommes leur assurance tranquille. Leur volonté de rupture. Leur refus du décorum emprunté. Leur désir d’être eux-mêmes, dans leur peau, dans leur culture, dans leurs tissus.
Et comme on ne sait plus quoi leur dire, on attaque les meubles, les tenues, les tissus. Pathétique. Ce n’est plus du débat politique, c’est de l’exorcisme social. Un appel à conjurer la peur du changement par le sarcasme sur la broderie d’un col.
Oui, nos nouvelles autorités dérangent. Et c’est bon signe. Cela veut dire qu’elles ont commencé à gratter là où ça démange depuis trop longtemps. Pendant qu’on s’épuise à mesurer le nombre de mètres de tissu par boubou, elles, semblent déterminées à redessiner la silhouette de l’Etat. Pas seulement dans les formes, mais dans la posture, dans l’ancrage, dans l’imaginaire. Et c’est peut-être ça, le plus insupportable : qu’on ose réconcilier autorité et africanité, élégance et sobriété, pouvoir et authenticité.
Alors oui, que les fauteuils balancent et que les boubous brillent. Ce n’est pas cela qui plombe un pays. Ce qui le plombe, ce sont les esprits étriqués et les critiques paresseuses, qui préfèrent compter les boutons que lire les bilans.