Le réalisme au pouvoir : rigueur, redressement et sobriété

Par Mamadou Sèye

Depuis un an, le Sénégal a amorcé une transition politique et économique d’une rare intensité. Dans un contexte marqué par l’urgence sociale, la dette lourde et la fatigue institutionnelle, les nouvelles autorités ont opté pour un chemin discret mais exigeant : celui de la rationalité budgétaire, de la rigueur administrative et d’un recentrage profond de l’Etat sur ses missions essentielles. Si la justice passe — et elle doit passer —, l’effort de redressement en cours mérite aussi d’être nommé, reconnu et pensé.

Il faut parfois du courage pour désigner ce qui va bien. A rebours d’un climat politique saturé de controverses et d’invectives, les faits économiques, eux, n’ont pas d’humeur : la croissance a atteint 6,9 % en 2024, l’inflation est tombée à 0,8 %, le déficit est en réduction, les équilibres macroéconomiques se stabilisent. Cette performance, dans un contexte régional tendu et mondialement incertain, est moins un miracle qu’un fruit de la sobriété, de la réorganisation de l’Etat et d’une volonté affirmée de sortir des cycles d’endettement stérile.

Les observateurs l’avaient noté : la nouvelle équipe a hérité d’une situation structurellement fragile. Une dette publique de plus de 75 % du PIB, un déficit budgétaire chronique, une masse salariale hypertrophiée, un climat d’affaires grevé par les incertitudes politiques. Et pourtant, dans ce champ de ruines administratives, c’est une méthode rigoureuse, presque spartiate, qui s’est imposée : réduction des charges de prestige, recentrage sur les secteurs essentiels, et surtout une volonté de dépoussiérer les mécanismes d’allocation des ressources.

“Le chaos précède toute naissance,” disait Mao. Ici, il ne s’agit pas de renverser l’ordre, mais d’en reconstruire un, pierre après pierre. Le redéploiement vers la production locale, les efforts d’assainissement du fichier de la fonction publique, le soutien accru à l’agriculture familiale et aux infrastructures rurales sont autant de signaux d’une politique qui cherche moins à séduire qu’à tenir.

La stratégie n’est pas spectaculaire. Elle ne se vit pas dans les annonces tonitruantes ni dans les inaugurations précipitées. Elle se lit dans le retour des médicaments dans les dispensaires, dans la relance méthodique des régies financières, dans la reprise progressive des chantiers prioritaires abandonnés ou surévalués. Et surtout, elle s’incarne dans un Etat qui réapprend à faire simple, à écouter, à arbitrer sans céder.

La reddition des comptes, si centrale dans l’architecture morale du pouvoir actuel, n’a pas été érigée en unique boussole. Elle coexiste avec une action réformiste plus profonde, qui refuse le populisme judiciaire tout en assumant la justice comme exigence. Le procès de l’ancien régime est en cours, mais l’avenir ne se construira pas dans le miroir du passé. Il se bâtit dans les budgets sincères, les actes réglementaires solides, les politiques publiques mesurables.

On pourra toujours demander plus de rythme, plus de présence symbolique, plus d’impact social visible. Mais il serait injuste de ne pas reconnaître la constance, la méthode, l’horizon. Un Etat qui paie ses dettes internes, relance la planification, crédibilise ses appels d’offres, et fixe un cap sans zigzag : c’est déjà un luxe dans l’Afrique politique d’aujourd’hui.

“Tout ce qui existe mérite de périr,” écrivait Hegel. Mais tout ce qui surgit dans le calme mérite qu’on le défende. L’alternance de mars 2024 a été une promesse. Un an après, ce sont des bases qu’on pose, avec lenteur mais cohérence. Si demain doit advenir, c’est sur ces fondations-là qu’il tiendra.


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