Le Sénégal face à son tournant: entre fatigue démocratique et espoirs de renouveau

,Par Mamadou Sèye

Ceux qui ont les yeux ouverts savent que les transitions politiques ne se jouent pas uniquement dans les urnes. Elles se jouent dans les esprits. Dans les cœurs. Et dans la mémoire.

Le Sénégal vient de vivre une élection qui a déjoué les pronostics, fait taire les certitudes et réveillé des consciences. Ce que nous avons vu, au-delà des chiffres et des discours, c’est un peuple debout, inquiet, mais debout. Fatigué, mais encore habité par une forme d’espérance. L’histoire, cette vieille dame exigeante, nous regarde désormais avec une moue interrogative : qu’allons-nous en faire ?

Car un changement de régime n’est pas encore un changement de culture politique. Et une victoire électorale, aussi éclatante soit-elle, ne garantit pas une victoire sur les maux structurels : impunité, clientélisme, centralisation, indifférence aux douleurs de la base. Il ne suffit pas de proclamer la rupture pour qu’elle advienne. La rupture, il faut l’habiter, l’incarner, la prouver. Jour après jour.

Une société au bord de la lassitude

La démocratie sénégalaise a résisté. C’est un fait. Mais à quel prix ? Et avec quelles séquelles ? Il flotte dans l’air une fatigue démocratique. Une lassitude de toujours espérer sans récolter. Une exaspération sourde qui peut, si elle est ignorée, se transformer en colère froide. Le peuple sénégalais n’est pas un peuple docile, il est un peuple patient. Mais la patience n’est jamais éternelle.

Aujourd’hui, ce peuple attend. Il observe. Il jauge les premiers actes. Il espère, certes, mais il guette les faux pas, les dérapages langagiers, les revirements déguisés. Il n’y a plus d’état de grâce. Il y a une exigence de clarté. Et une vigilance populaire qui ne faiblira plus.

Une génération devant l’histoire

Il ne faut pas se tromper : cette alternance n’est pas celle d’un individu contre un autre. C’est la confrontation de deux époques, de deux imaginaires. D’un côté, une politique de couloirs et de deals. De l’autre, une jeunesse qui veut respirer, comprendre, entreprendre. Une jeunesse parfois brutale dans sa manière de dire les choses, mais toujours légitime dans ses attentes.

Si cette génération-là est trahie, elle ne reviendra pas. Elle s’éloignera de la République, se réfugiera dans le cynisme ou dans l’exil intérieur. Ce serait une perte historique.

Et maintenant ?

Maintenant commence le plus dur : tenir parole. Refuser les raccourcis faciles, les nominations de confort, les vengeances politiques. Gouverner dans l’écoute et non dans l’écho. Avoir le courage de décevoir les proches pour ne pas trahir les principes. Ce que le Sénégal attend n’est pas un miracle. C’est un minimum de morale publique. Une gouvernance lisible. Un État qui regarde vers le bas, et non seulement vers le sommet.

Le moment est venu de rebâtir la confiance, pierre après pierre, mot après mot, acte après acte. Il ne s’agit pas seulement de réparer ce qui a été brisé. Il faut réinventer la relation entre le pouvoir et le peuple.

Ce tournant-là ne se négocie pas. Il se prend. Ou il se rate.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *