Le torchon de la dernière chance

Par Mamadou Sèye

Il fallait oser. Et ils l’ont fait. À la faveur d’un prétendu « travail d’enquête », un célèbre magazine basé à Paris, familier des élites africaines et passé maître dans l’art du portrait orienté, s’invite subitement dans l’actualité sénégalaise. Sa mission ? Délégitimer le travail rigoureux de la Cour des comptes, mettre en doute les faits pourtant documentés, jeter un brouillard habile sur une série de malversations gravissimes révélées dans la gestion des fonds COVID et plus largement, dans la gouvernance publique.

Mais ce que le journal vise réellement, sous couvert de rééquilibrage médiatique, c’est la remise en cause de toute la matrice de reddition des comptes en gestation au Sénégal. Il s’attaque notamment à la question centrale de la dette cachée, du maquillage des chiffres, du gonflement artificiel des performances macroéconomiques sous l’ancien régime. Une dette que des générations futures paieront, et qui a été subtilement dissimulée dans des contrats flous, des engagements extrabudgétaires, des passifs non consolidés. L’enquête, en contestant ces révélations, prend le parti du maquillage, contre la transparence.

Le timing est lui aussi significatif. Alors que le parquet financier vient d’être saisi, que des suites judiciaires sont attendues, ce « papier » venu de France cherche à jeter le doute, à parasiter une dynamique de justice, à introduire une contestation importée pour atténuer les responsabilités locales. Le procédé est vieux, usé, mais il a souvent fonctionné : quand les comptes sont mauvais, on change le comptable, ou on accuse la calculatrice.

Derrière cette manœuvre, c’est tout un modèle de presse rentière, vivant de portraits complaisants, de silence monnayé, et de chantages à peine voilés, qui tente une dernière pirouette. Un modèle qui, pendant des décennies, a prospéré sur les faiblesses institutionnelles africaines et les vanités présidentielles. Mais le Sénégal de 2024 n’est plus celui des années 80. Le peuple est mûr, informé, connecté. Les marges d’influence se réduisent.

Et que l’on ne s’y trompe pas : le combat contre les détournements et les dérives de gouvernance ne vise pas les riches en tant que tels. Il y a dans ce pays des entrepreneurs valeureux, des capitaines d’industrie respectés, des bâtisseurs patients. Ceux-là n’ont rien à craindre. Mais quand une poignée de hauts placés s’enrichissent en quelques mois, en dehors de toute logique productive, la question légitime surgit : quelle est l’origine de cette manne ? Quelle est la contrepartie économique ou sociale de cette soudaine opulence ? Être multimilliardaire au Sénégal ? Ce n’est pas interdit. Mais dans les faits, c’est rarissime. Et souvent, c’est le fruit d’un déséquilibre, d’une prédation, d’un privilège inavouable. Cela finit d’ailleurs par se voir, tant cela manque de naturel, tant cela déborde du bon goût.

Ce que certains appellent « contre-enquête » n’est, in fine, qu’un plaidoyer déguisé, une opération de décrédibilisation masquée. Le Sénégal nouveau, porté par une soif de justice et d’éthique, n’a plus besoin de validation extérieure pour s’assumer. Sa boussole est interne, son cap est assumé. Et aucun organe nostalgique des connivences d’antan ne pourra le détourner.

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