Par Mamadou Sèye
Il existe un ancien proverbe de chez nous qui dit en substance : « Celui dont le besoin quotidien se limite à un fragment de noix de cola — et qui est certain de l’avoir chaque jour — n’envie guère celui qui peut en posséder un sac. » Cette sagesse, aussi simple qu’éloquente, pose une question centrale dans notre société contemporaine : quel est notre rapport à l’argent ?
Les derniers scandales financiers, les révélations en cascade sur les milliards détournés ou mal utilisés, nous rappellent que l’argent, bien plus qu’un simple moyen d’échange, est devenu une obsession sociale, presque une finalité existentielle. Mais à quel prix ?
Le problème n’est pas l’argent en soi. Il est dans la démesure, la précipitation, le goût du gain sans effort, de la richesse sans cause. Il est dans ce besoin de paraître, de s’étaler, de dominer. Or, l’argent ne donne ni dignité ni paix. Il ne remplace pas l’estime, il ne fonde pas l’honneur.
Il y a pourtant au Sénégal des gens qui réussissent honnêtement. Des femmes et des hommes debout, qui bâtissent dans la discrétion, qui créent, emploient, innovent, soutiennent. Ceux-là méritent admiration. Ce sont des capitaines d’industrie, des chefs d’entreprise, des dirigeants de sociétés qui ont construit patiemment leur capital. Leur richesse est licite, utile, féconde.
Mais à côté, il y a ces fortunes tombées du ciel. Ces enrichissements fulgurants, nés dans les marges grises du pouvoir ou dans l’opacité des circuits de l’Etat. Et ceux qui s’enorgueillissent d’avoir pillé un peuple au nom de privilèges temporaires. A ceux-là, l’histoire, tôt ou tard, présentera l’addition.
Être multimilliardaire au Sénégal ? En théorie, cela se peut. Et il faut saluer ceux qui, à la sueur de leur front, à la force de leur intelligence et de leur discipline, ont bâti des empires : les bâtisseurs patients. Leur fortune est respectable. Ce qui gêne, ce n’est pas la richesse — c’est la démesure suspecte, surtout lorsqu’elle pousse dans les interstices de l’appareil d’Etat, à l’ombre des marchés publics ou des caisses noires. Car dans un pays où l’on tend encore la main pour un sachet de riz, l’arrogance des milliards mal acquis hurle plus fort que les cris des miséreux. Afficher ces richesses comme des trophées, c’est provoquer, narguer, insulter. Même les plus fortunés, lorsqu’ils sont sains d’esprit, finissent par douter : à quoi bon cette montagne d’or si elle n’achète ni la paix, ni le respect, ni même la liberté ? Beaucoup découvrent alors la vacuité de l’accumulation, et se tournent vers le mécénat, la charité, comme un apaisement tardif. En vérité, ici, être multimilliardaire n’est pas un exploit : c’est une épreuve. Et il faut savoir la traverser avec dignité, sinon avec silence.
Notre époque a besoin d’une nouvelle morale de l’argent. Pas d’un rejet de la richesse, mais d’un culte de la décence. Pas de l’ascétisme, mais de la modération. Ce n’est qu’à ce prix que l’argent redeviendra un outil — et cessera d’être un poison.