Par Mamadou Sèye
Il y a quelque chose de profondément inquiétant dans cette façon, devenue presque banale, qu’ont certains acteurs politiques de s’en prendre aux institutions de la République dès lors qu’elles ne chantent pas leur gloire. La publication hier d’un « contre-rapport » par l’Alliance pour la République (APR), en réponse au rapport de la Cour des comptes sur l’audit des finances publiques, en est une illustration frappante.
On aurait pu s’attendre à une posture d’humilité, voire à une réponse argumentée sur le fond. Ce qu’on a eu, c’est un réflexe défensif maladroit, au mieux, un affront assumé à l’indépendance d’une institution, au pire. En République, chacun son rôle. L’organe de contrôle contrôle, le gestionnaire exécute, le citoyen observe et juge. Lorsque le politique décide de réécrire les conclusions des auditeurs pour s’auto-absoudre, on n’est plus dans le débat républicain. On est dans l’autocélébration décomplexée.
Que des responsables s’autorisent à contester des constats techniques avec des arguments purement partisans serait risible si ce n’était pas aussi grave. Car derrière cette manœuvre, c’est le principe même de redevabilité qui vacille. Le message est clair : à l’avenir, tout rapport gênant sera moqué, discrédité, réécrit. Et l’on finira par installer dans l’opinion l’idée que la vérité elle-même peut être sujette à option, selon l’étiquette politique de celui qui la produit.
Mais ce qui choque encore plus, c’est cette propension à invoquer Ousmane Sonko dans une affaire où il n’a ni rôle, ni lien, ni citation. Il faut croire que son nom est devenu un écran commode pour détourner les projecteurs. Quand le débat devient trop technique, on l’invoque. Quand les faits résistent, on l’accuse. Quand les institutions parlent, on l’interprète comme un complot de plus. Cette obsession est révélatrice. Elle dit l’incapacité à assumer, la peur du regard extérieur, le refus du moindre mea culpa.
Ce moment devrait être un tournant. L’occasion, enfin, d’admettre que l’exercice du pouvoir implique autre chose que la conquête ou la défense d’un camp. Il suppose de rendre compte. Il suppose d’accepter que des magistrats financiers puissent faire leur travail sans avoir à redouter un tir de barrage politique. Il suppose qu’un rapport public ne devienne pas un champ de bataille partisan.
C’est un test de maturité. Une démocratie se juge à sa capacité à se regarder dans le miroir sans le briser. Et ce miroir, ce sont justement ces corps de contrôle, indépendants, impopulaires parfois, mais indispensables.
Il est temps de rappeler que la République n’est pas une affaire de clan, mais de principes. Et que l’un de ces principes, au fondement de tout, s’appelle la redevabilité. Ce mot- là , si simple en apparence, mérite d’être réhabilité. C’est par lui que commence le respect du citoyen. Et c’est par lui que, souvent, commence aussi la vérité.