Loyauté et hauteur : la leçon Diomaye

Par Mamadou Sèye

Il est des tournants dans l’histoire d’une Nation qui ne se résument pas à une alternance. Des moments rares, presque suspendus, où l’on sent que quelque chose d’invisible mais essentiel est en train de changer. Le Sénégal vit, peut-être sans pleinement s’en rendre compte, l’un de ces moments. Car l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye au sommet de l’Etat n’est pas seulement une victoire électorale. Elle est l’irruption, dans les habits feutrés du pouvoir, d’une éthique nouvelle, d’une rigueur calme, d’une lucidité sans crispation. Et c’est cela qui étonne, séduit, et touche profondément.

Le pouvoir, on le sait, a ses tentations. Il dévore souvent ceux qui le rêvaient juste. Il isole, il flatte, il suggère que tout doit converger vers le centre, vers soi. Il fait de la verticalité une prison dorée. Combien de chefs, hier radicaux, aujourd’hui installés, ont tout recentré sur leur personne, au mépris de leurs promesses ? Combien ont juré de décentraliser les pouvoirs pour mieux tout verrouiller ensuite ?

Et pourtant. Diomaye a résisté. Là où tant d’autres ont plié, lui est resté debout. Sans théâtre. Sans discours martiaux. Juste par cohérence. Car dans le programme de PASTEF, il était prévu que le Premier ministre soit un acteur majeur de l’exécutif, avec des responsabilités étendues. Bien peu, une fois la victoire acquise, auraient honoré une telle promesse. Mais lui l’a fait. Non par calcul. Par fidélité à la parole donnée, par respect pour la logique institutionnelle, par croyance profonde que le pouvoir ne s’use que lorsqu’on en abuse.

Et voilà Ousmane Sonko, aujourd’hui Premier ministre, en tournée diplomatique africaine, représentant pleinement le gouvernement du Sénégal. Une scène qui aurait pu troubler si elle n’avait été portée par une confiance réciproque, une loyauté rare, une entente sans duplicité. Ce binôme, formé dans les épreuves, dans la lutte, dans la prison même, ne joue pas un duo de façade. Il incarne une dialectique vivante. Sonko, c’est la parole, l’énergie, l’impulsion. Diomaye, c’est le socle, la retenue, la verticalité tranquille. L’un éclaire, l’autre stabilise. L’un secoue, l’autre structure. Et c’est cette complémentarité qui étonne l’Afrique, qui inspire, qui rassure.

Nous sommes peut-être en présence d’un tournant anthropologique dans notre rapport au pouvoir. Car cette posture présidentielle, si peu jalouse, si peu possessive, si pleine de retenue et de confiance, s’appuie sur des fondements que l’on croyait enfouis : l’honneur de la parole tenue, l’estime de l’ami de lutte, la mémoire des douleurs partagées. Cela rappelle des valeurs profondément africaines – où l’on n’oublie pas celui qui a souffert à ses côtés, où l’on n’humilie pas l’allié loyal, où l’on n’éteint pas l’autre pour briller seul.

Mais au-delà même de l’Afrique, il y a là une portée universelle. Diomaye, sans bruit, nous enseigne qu’on peut gouverner avec sobriété, déléguer sans se diluer, incarner sans accaparer. Il restaure une idée presque oubliée : que le chef n’est pas celui qui concentre tout, mais celui qui donne la mesure, qui rend possible, qui élève les autres par sa posture. Il fait mentir les fatalistes, les cyniques, les habitués des désillusions.

Dans un monde politique souvent défiguré par la ruse, la manipulation et l’ivresse du moi, Diomaye choisit la fidélité au cap, la grandeur sans tapage, la hauteur sans froideur. Il n’humilie pas. Il ne jubile pas. Il avance, sobrement, mais sûrement. Et c’est peut-être cela, le plus grand bouleversement : la preuve vivante qu’un autre exercice du pouvoir est possible.

Oui, la politique peut redevenir une école de loyauté, une fabrique de respect, un art de la mesure. Oui, l’Afrique peut écrire une nouvelle page, non pas en copiant les modèles extérieurs, mais en puisant dans ses propres ressources spirituelles, culturelles, morales. Oui, Diomaye, par sa façon d’être, par ce qu’il ne dit pas autant que par ce qu’il fait, devient le symbole d’une refondation silencieuse mais puissante.

L’histoire retiendra peut-être un jour que ce duo – Diomaye et Sonko – n’a pas seulement gagné une élection, mais réconcilié la jeunesse avec la politique, le peuple avec la République, l’éthique avec le pouvoir.

Et cela, dans ce siècle si bruyant, si pressé, si souvent désabusé, vaut bien plus qu’une victoire. Cela s’appelle, tout simplement, une élévation.

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