Par Mamadou Sèye
L’alternance politique, lorsqu’elle est obtenue dans la paix et le suffrage universel, n’est pas une révolution. Elle est un souffle démocratique, une respiration attendue dans les replis du peuple, un signal donné au monde qu’un pays entend se redéfinir dans l’ordre républicain. En cela, l’accession des nouvelles autorités à la magistrature suprême, soutenue par une légitimité populaire indiscutable, est un événement politique majeur. Mais cette alternance, aussi salutaire soit-elle, n’a rien d’un miracle. Elle n’efface ni les inerties anciennes ni les pièges du système combattu.
Très tôt, le Président de la République et son Premier ministre ont montré la voie d’un pouvoir actif. L’engagement a été constant : s’attaquer aux priorités, soulager les souffrances des populations, relancer l’espérance. Une série de mesures concrètes l’attestent : baisse des prix de denrées de première nécessité, renforcement des concertations avec les forces sociales, perspective d’une baisse du coût de l’électricité… Ces décisions, loin d’être anecdotiques, marquent une volonté de reconnecter l’Etat aux préoccupations essentielles.
Mais dans le même souffle, les obstacles surgissent. Ils ne sont pas frontaux ; ils sont feutrés, diffus, insidieux. C’est ce que d’aucuns appellent l’Etat profond — non pas une entité occulte, mais un système d’habitudes, de réflexes, de réseaux, de duplications administratives et de lenteurs stratégiques. Ce système n’est pas une conspiration ; il est une pesanteur. Il résiste au changement, car il a appris à se reproduire même quand les visages changent.
L’exemple de la rationalisation des agences étatiques est symptomatique. Annoncée comme une priorité dans l’effort de réduction des dépenses publiques et d’optimisation de l’action administrative, elle tarde à se concrétiser. Pourquoi ? Parce que derrière chaque agence, il y a des intérêts, des clientèles, des équilibres politiques parfois fragiles. La réforme devient alors un exercice d’équilibrisme où l’ambition de rupture se cogne à la prudence du réalisme.
Mais le réalisme ne doit jamais se confondre avec la résignation. Le pouvoir issu du peuple doit pouvoir trancher. Il ne s’agit pas d’abattre pour abattre, mais de revoir l’utilité publique, l’efficience, la cohérence budgétaire. L’argent public n’est pas un patrimoine partisan. Il appartient à tous, et surtout à ceux qui n’en ont pas.
Par ailleurs, une autre résurgence des vieilles pratiques nous interroge : l’appétence pour les séminaires, les ateliers, les concertations à répétition. La République du débat est nécessaire, mais elle ne doit pas être une République du bavardage budgétivore. Trop de réunions, trop peu d’actions. Or, les attentes sont pressantes, les urgences criantes. Il faut donc innover, digitaliser, territorialiser les débats, mais surtout en tirer des décisions exécutoires.
Le risque aujourd’hui, c’est la dissonance. D’un côté, un leadership présidentiel et primatorial déterminé. De l’autre, certains ministères ou structures qui semblent encore englués dans des routines d’un autre temps. Il ne doit pas y avoir deux tempos, deux visions, deux vitesses. Le cap fixé par le Président doit être partagé, assumé, et traduit dans chaque plan d’action ministériel comme y invite à chaque fois que de besoin le Premier ministre. L’efficacité gouvernementale repose sur l’unité, la lisibilité et la discipline républicaine.
Mais il faut aussi admettre une vérité dialectique : l’État ne se réforme pas contre lui-même. Il se réforme de l’intérieur, avec le courage d’y rester, mais sans succomber à ses pièges. C’est un travail de longue haleine, de pédagogie, d’audit, de confrontation permanente avec les intérêts installés.
Il serait illusoire de penser qu’un régime, même pétri de bonne foi, peut transformer l’ordre administratif sans heurter ceux qui en vivent confortablement. Les résistances viendront, parfois en silence, parfois en calculs, souvent en attentes passives qui sabotent l’élan initial. Le défi du pouvoir, c’est d’y faire face sans se dénaturer.
La continuité de l’État est un principe sacré. Mais elle ne doit jamais être un alibi pour la reconduction des errements. Il ne s’agit pas de gouverner contre hier, mais d’éviter que les pratiques d’hier étouffent demain. Ce gouvernement n’a pas été élu pour faire du neuf avec du vieux, mais pour faire du neuf avec rigueur, méthode, et audace.
La reddition des comptes, par exemple, doit devenir une norme banale, administrative, régulière. Ce n’est pas une chasse aux sorcières, c’est l’expression d’un Etat moderne. Rendre compte, c’est rassurer les citoyens, c’est respecter leur contribution fiscale, c’est cultiver l’exemplarité.
Au fond, ce que le peuple attend, ce n’est pas l’impossible. C’est la cohérence entre le verbe et l’acte, entre la promesse et l’effet, entre l’éthique et le concret. Il veut croire à une gouvernance qui l’inclut, qui l’écoute, mais surtout qui le soulage.
L’alternance n’est pas un repos. C’est une promesse à tenir. Et cette promesse, pour être honorée, exige de regarder lucidement l’Etat profond dans les yeux, de lui opposer la volonté du peuple, et de reconstruire chaque rouage administratif au service de l’intérêt général.