Présidentielle : la Côte d’Ivoire mérite mieux que cette mémoire courte

Par Mamadou Sèye

Il m’en coûte de réagir à chaud, tant la politique, en Afrique comme ailleurs, demande du recul. Mais comment rester silencieux devant l’invalidation de la candidature de Tidiane Thiam, figure d’équilibre et de compétence, écarté non par le peuple, mais par une justice que l’on sent de plus en plus mise en tension par les pesanteurs du pouvoir ?

Ce qui se joue en Côte d’Ivoire n’est pas nouveau, hélas. Mais le silence, cette fois, serait une forme de trahison envers l’histoire que j’ai moi-même traversée, en tant que journaliste et observateur engagé. J’ai vu Gbagbo arriver au pouvoir, porté par une vague d’espérance. J’ai eu l’occasion de l’interviewer dans son palais d’Abidjan, dans une atmosphère feutrée, rendue possible grâce à l’entremise de mon confrère Honorat De Yedagne, alors directeur général de Fraternité Matin, rencontré à Yaoundé à l’occasion d’une conférence. Une rencontre qui, au-delà des mots, visait à apaiser un froid provoqué par certaines déclarations du président Wade — propos que Gbagbo avait jugés offensants. L’enjeu était grand : préserver la sérénité des Sénégalais de Côte d’Ivoire, notamment à Treichville, ce quartier vibrant où chaque tension entre chefs d’État trouve un écho direct dans la vie des communautés expatriées.

J’ai vu, aussi, sous Robert Gueï, un président de la Commission électorale interrompre, sur injonction, la proclamation de résultats que le peuple attendait comme on attend la pluie après la saison sèche. Et bien avant tout cela, j’ai suivi le combat d’un certain Alassane Ouattara, contraint de lutter contre le concept glaçant de « l’ivoirité », utilisé pour le disqualifier, pour le réduire, pour faire de lui un étranger dans son propre pays. Il en a bavé. Il en a sué. Et je n’aurais jamais imaginé qu’un jour, sous son magistère, on brandirait d’autres prétextes pour empêcher un autre Ivoirien, Tidiane Thiam, de porter l’espoir d’une alternative.

Le paradoxe est cruel. Celui qui fut victime d’un mécanisme d’exclusion en vient aujourd’hui, par ricochet ou par système, à cautionner l’exclusion d’un autre. Non par des armes. Mais par les subtilités procédurales d’une justice dont l’indépendance semble, de plus en plus, suspendue à la géographie du pouvoir.

Ce pays que j’aime, que je respecte, et que j’ai toujours considéré comme un phare économique de l’Afrique de l’Ouest, mérite autre chose. Il mérite une démocratie mature, apaisée, inclusive. Il mérite que la compétition politique soit réelle, ouverte, loyale. Il mérite qu’on laisse les idées s’affronter, pas qu’on les muselle. Qu’on respecte l’intelligence, pas qu’on s’en méfie.

Je ne connais pas personnellement Tidiane Thiam. Mais je reconnais en lui le type d’homme qui rassure : sobre, formé au plus haut niveau, fin connaisseur des arcanes économiques mondiaux, et profondément enraciné dans la complexité ivoirienne. Lui barrer la route, c’est non seulement priver les Ivoiriens d’un choix possible, mais aussi envoyer un message inquiétant à tous ceux qui, dans les diasporas africaines, envisagent un retour au pays au service du bien commun. Cela revient à dire : « Vos compétences ne nous intéressent que lorsqu’elles sont muettes. »

La Côte d’Ivoire ne peut se permettre un tel repli. Elle ne peut pas répéter, à chaque génération, le même scénario : des exclusions travesties en décisions de droit, des élections verrouillées, des tensions prévisibles. Elle vaut mieux. Elle peut mieux.

L’Afrique entière regarde. Et elle comprend que ce n’est pas seulement Tidiane Thiam qui a été écarté. C’est une manière de croire encore que le renouveau peut se faire sans bruit, sans rupture, avec sérénité et compétence. Ce sont ces figures-là, celles qui ne crient pas mais qui construisent, que l’on assassine politiquement avant même qu’elles n’aient parlé.

Mais l’histoire, elle, n’a pas dit son dernier mot. Et les peuples savent faire la différence entre ceux qui ferment les portes… et ceux qui en construisent de nouvelles.


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