Par mamadou Sèye
La conférence de presse organisée hier par les avocats de l’ancien Président Macky Sall a intrigué autant qu’elle a amusé. Non pas par le fond de leur argumentaire, mais par le lieu où elle s’est tenue : le siège de l’Alliance pour la République. Les avocats ont expliqué qu’ils n’avaient pas choisi cet endroit par convenance politique, mais par contrainte. Selon eux, plusieurs hôtels de Dakar auraient refusé d’accueillir la rencontre, sous l’effet de mystérieuses « pressions ».
L’argument frappe d’emblée l’opinion. Il convoque une imagerie familière : celle d’un pouvoir qui muselle, d’un climat de peur, d’un pays où même les hôtels trembleraient à l’idée de recevoir une conférence de presse. C’est fort, c’est dramatique, mais camarade, c’est aussi d’une fragilité confondante.
Car enfin, lorsqu’on avance une accusation de cette nature, la rigueur impose la preuve. Quels hôtels ? À quelles dates ? Quelles réponses ? Quels messages ou appels ? Rien de cela n’a été produit. Pas une trace, pas un témoignage. L’affirmation demeure un pur récit, utile pour la mise en scène, mais vide sur le plan factuel. C’est là que la stratégie se dévoile : on quitte le terrain du droit pour celui de la dramaturgie.
Ce que les avocats ont tenté d’imposer hier, c’est moins une démonstration qu’une émotion. Ils ont cherché à installer un climat de victimisation, à transformer une conférence juridique en épisode d’un feuilleton politique : celui d’un ancien Président présenté comme victime d’un système qu’il aurait jadis incarné. L’inversion est subtile, presque ironique : ceux qui ont longtemps exercé le pouvoir se redécouvrent opprimés.
Mais la ficelle est visible. Si le pays était à ce point verrouillé, comment expliquer que la conférence se soit tenue, retransmise et commentée à grande échelle ? Comment dénoncer la censure depuis un micro parfaitement ouvert ? C’est ce qu’on pourrait appeler le confort du martyr médiatique : s’indigner tout en bénéficiant de la tribune qu’on prétend vous refuser.
Le choix du siège de l’APR n’est pas anodin. C’est un lieu chargé de symboles : celui du pouvoir passé, des triomphes d’hier, du parti qui se cherche encore un destin. En s’y installant, les avocats ont, consciemment ou non, offert un second souffle à cette symbolique. La scène juridique devient politique, le plaidoyer se mue en discours d’appartenance.
Ce qui devait être une défense devient alors une opération de communication. L’objectif n’est plus de convaincre sur le fond, mais de modeler la perception : faire croire à l’acharnement, à la peur, à l’intimidation. Or, en l’absence de preuves tangibles, cette posture ne produit qu’un effet de théâtre. Et le théâtre, s’il émeut un instant, ne convainc jamais longtemps.
Camarade, on le sait : dans la bataille de l’image, les mots sont des armes, mais ils se retournent souvent contre ceux qui les brandissent sans précaution. Les avocats auraient gagné à faire ce qu’ils savent faire le mieux : démontrer. Au lieu de cela, ils ont choisi de raconter. Et dans ce récit, le pathos a pris la place de la preuve.
En définitive, la version des « pressions » ressemble moins à un cri d’alerte qu’à un calcul commode, une mise en scène pour créer du frisson politique là où il n’y avait qu’un simple choix logistique. On plaide moins le droit qu’on ne met en scène la douleur. Et, à force de jouer les opprimés, certains risquent de n’être plus crus, même lorsqu’ils diront vrai.