Par mamadou Sèye
L’opposition sénégalaise, singulièrement l’Alliance pour la République (APR), traverse une phase de confusion politique qui en dit long sur l’état de sa relation avec le pays réel. Elle parle fort, gesticule, dénonce, multiplie les conférences et les artifices médiatiques, mais elle ne mobilise pas. L’explication est simple : elle souffre d’un lourd contentieux moral et politique avec la majorité de la population, et donc avec l’opinion. Ce n’est pas une question de moyens, mais de crédibilité.
L’APR a gouverné le Sénégal pendant plus d’une décennie. Elle a incarné le pouvoir, exercé l’autorité, distribué les faveurs et les sanctions. Et dans la mémoire collective, cette période reste marquée par une arrogance de système, un sentiment d’injustice, de favoritisme et de déconnexion avec la vie réelle. L’opinion n’a pas oublié. Ce que l’ancien pouvoir a laissé derrière lui, c’est une trace de méfiance. Quand on a longtemps détenu l’Etat, il est difficile de se faire passer pour une victime. Le peuple sénégalais, même silencieux, n’est pas amnésique. Ce qu’il rejette aujourd’hui, ce n’est pas l’idée d’opposition : c’est l’incarnation même de l’ancien pouvoir, son ton, ses réflexes, sa manière de toujours se poser en donneur de leçons. L’opinion a rendu son verdict depuis longtemps : l’APR parle pour elle-même, pas pour le pays.
Le Sénégal a mûri. Le citoyen d’aujourd’hui, même sans diplôme, a une conscience politique aiguë. Il sait reconnaître les acteurs, les discours recyclés et les promesses en trompe-l’œil. Il ne veut plus rejouer la même pièce avec les mêmes comédiens. L’APR, dans sa tentative de redevenir audible, s’enferme dans la nostalgie de son propre pouvoir. Elle ressasse, réplique, conteste tout sans convaincre personne. La société, elle, a changé de cap. Elle réclame de la sobriété, de l’éthique, du concret. Pendant que le pouvoir actuel s’applique à poser des jalons de gouvernance, l’opposition reste bloquée sur une rhétorique de revanche. Résultat : l’opinion n’écoute plus. Le peuple ne manifeste pas pour des rancunes de palais.
Ceux qui parlent de bataille de communication se trompent de diagnostic. Il n’y a pas de bataille, parce qu’il n’y a plus de terrain. L’opinion ne se bat plus pour ou contre l’APR ; elle s’en est détachée. Le problème du pouvoir actuel n’est pas de faire face à une opposition redoutable, mais plutôt de gérer un peuple qui trouve que le gouvernement est trop patient envers ceux qui l’ont hier méprisé. En vérité, l’opposition ne peut pas compter sur l’opinion, parce que l’opinion pense, au contraire, que le pouvoir laisse trop faire cette opposition. Le désamour est profond, et la reconquête morale semble hors de portée sans une autocritique sincère.
C’est dans ce vide politique que s’inscrivent les gesticulations de communication : le recours à des avocats étrangers, les conférences mises en scène, les mots d’ordre creux. Mais rien n’y fait. L’arrivée d’Olivier Sur à Dakar n’émeut personne. Il peut venir, repartir, revenir encore : le pays reste indifférent. Parce que le Sénégalais moyen n’a pas oublié que ces démonstrations sont avant tout des spectacles de façade. La différence est frappante : quand Juan Branco était annoncé, le pays vibrait, les frontières s’agitaient, les autorités s’affolaient, les jeunes suivaient ses péripéties en direct. Aujourd’hui, c’est le calme plat. Olivier Sur passe comme un consultant parmi d’autres. L’opposition cherche à reproduire une émotion disparue, mais le peuple a tourné la page. Le film n’a plus de spectateurs.
Pire encore, certains responsables de l’APR semblent désormais à la remorque de chroniqueurs et de polémistes. Ils réagissent à chaque émission, se cachent derrière les déclarations de quelques voix médiatiques pour exister. Le débat politique s’est déplacé des terrains militants vers les plateaux télé, où l’opposition se contente de commenter ce que d’autres ont déjà dit. Cette dépendance est le signe d’une défaite plus grave : celle de l’imagination politique. Une opposition qui s’abandonne à la rumeur et au bavardage, c’est une opposition qui abdique. Elle ne construit plus le débat national ; elle le subit. Le peuple n’adhère pas à une opposition qui ne sait plus penser par elle-même.
Pour reconquérir l’opinion, encore faudrait-il qu’elle reconnaisse ses fautes, qu’elle parle vrai, qu’elle propose un horizon. La seule force d’une opposition, c’est sa capacité à incarner un espoir. Tant qu’elle refusera l’autocritique, tant qu’elle s’enfermera dans le ressentiment, elle restera coupée du réel. Le Sénégal d’aujourd’hui n’est plus celui de 2012. Le citoyen veut voir, comprendre et juger sur pièces. Il veut des arguments, pas des slogans. L’APR doit d’abord se réconcilier avec la vérité avant d’espérer se réconcilier avec le peuple.
Ce qui étouffe l’opposition, ce n’est pas le pouvoir. C’est le rejet d’un peuple qui ne veut plus d’un remake politique, encore moins d’un retour sans rédemption. Tant qu’elle continuera de s’appuyer sur le bruit plutôt que sur les idées, sur les chroniqueurs plutôt que sur les militants, sur la nostalgie plutôt que sur le renouveau, elle parlera seule. Et c’est bien cela, camarade, le signe le plus cruel de sa défaite : ne plus être crainte, ne plus être crue, ne plus être écoutée.