Par Mamadou Sèye
Il arrive parfois en politique que la parole serve d’arme lourde. Non pour blesser, mais pour dissuader. Non pour diviser, mais pour réorganiser le champ de bataille. Ce jeudi soir, Ousmane Sonko n’a pas parlé comme un chef de parti. Il a parlé comme un stratège maître du tempo, gardien de la ligne, garant d’un pacte politique signé avec le peuple.
Il aurait pu s’en tenir à une installation classique du Conseil National de PASTEF. Un discours convenu. Une séquence banale. Mais il a choisi l’élévation. Le cadrage. Le recadrage. Il a repris la main. Et ce faisant, il a démontré que lorsqu’il entre en scène, ce n’est pas pour meubler l’espace politique, mais pour le redéfinir.
Dès les premiers mots, le ton est donné : « Ne vous embourgeoisez pas. » La formule, lancée à l’intention des ministres, des directeurs généraux et cadres promus, est lourde de sens. C’est une alerte, un coup de sifflet, une claque préventive : le pouvoir n’est pas un canapé. C’est une charge. Un sacrifice. Un mandat confié par des millions. Et Sonko rappelle à tous — y compris ses proches — que le peuple n’a pas voté pour une classe dirigeante de remplacement, mais pour un projet. Un idéal. Une rupture civilisationnelle avec la politique clientéliste.
Puis vient la séquence attendue : la relation avec Diomaye. Là où les esprits malintentionnés espéraient des sous-entendus, Sonko donne des certitudes. Il ne laisse aucune place à l’ambiguïté. Il dit avec force : « C’est le Président Diomaye qui a le pouvoir constitutionnel. Il n’a qu’à régler ce problème. Ou qu’il me laisse le régler. » Les esprits simples y verront un défi. Les stratèges y liront une cohérence redoutable. Sonko ne se rebelle pas. Il mobilise. Il protège. Il réarme moralement son Président. Il l’invite à l’autorité. Et si celle-ci tarde, il propose, dans la loyauté, de prendre le relais.
C’est là toute l’intelligence du propos : il agit comme un rempart, non comme une menace. Il ne conteste pas le pouvoir, il en renforce les fondations. Il ne déstabilise pas l’équilibre institutionnel, il le stabilise, à sa manière : directe, frontale, sans fioritures. Et à ceux qui demandent sa démission, il oppose une fin de non-recevoir magistrale : « Je ne démissionnerai jamais sauf si le président me le demande. Et si tel est le cas, j’irai à l’Assemblée pour continuer le travail. »
Voilà ce qu’est un homme politique enraciné : un homme dont la légitimité vient du peuple, pas de la rumeur ; de l’action, pas de la cabale.
Sonko ne s’arrête pas là. Il regarde au-delà de la scène politique formelle. Il désigne les autres acteurs du désordre ambiant : une société civile réversible, zélée, qui veut aujourd’hui co-gouverner sans avoir jamais été mandatée. Il rappelle un principe fondamental de démocratie : on ne gouverne pas avec les postures, mais avec un mandat populaire. Et ce mandat, c’est PASTEF qui l’a reçu. C’est Diomaye qui l’incarne. C’est le peuple sénégalais qui l’a délivré. Les autres peuvent conseiller, critiquer, même alerter. Mais gouverner ? Il faut avoir été choisi.
Sonko fustige ensuite les arènes médiatiques devenues des espaces de lynchage politique. Il appelle à la dignité : « Ne vous laissez pas insulter sur des plateaux construits pour vous humilier. » Là encore, il pose un cadre : la dignité dans la communication est une condition de la légitimité politique. On ne se défend pas partout, contre tout, à n’importe quel prix. Il faut élever le débat, assainir les espaces, et imposer des codes nouveaux.
Mais le moment fort, la rupture stratégique, vient peut-être de cette annonce discrète mais capitale : une grande manifestation en soutien au Président et au Gouvernement est en préparation. Le message est double. D’une part, Sonko prend les devants : il refuse de laisser la rue à la manipulation, aux slogans sans fond, aux insurrections fabriquées. D’autre part, il rappelle au Président qu’il n’est pas seul. Que le peuple est là. Et que la rue peut aussi être discipline, loyauté, projection républicaine.
Et surtout, Sonko déchire le rideau des apparences. Il dit ce que beaucoup soupçonnaient sans oser l’exprimer publiquement : « Le système est encore là. Et ce système, pour atteindre Diomaye, veut d’abord me faire sauter, moi. » Le propos est d’une clarté brutale. Il ne s’agit plus de divergences idéologiques. Il s’agit d’un projet de reprise en main du pays, fomenté dans les arrière-cuisines d’un système vaincu mais non dissous.
Sonko, en se présentant comme le verrou, ne se donne pas une importance personnelle. Il prend sa place dans la stratégie de protection d’un pouvoir populaire en construction. Il comprend que c’est lui, figure de radicalité républicaine, de discours tranchant, de fidélité militante, que le système veut neutraliser pour ensuite isoler Diomaye, le fragiliser, puis le broyer. Ce n’est pas une hypothèse. C’est un scénario prémédité.
C’est aussi pour cela qu’il ne démissionnera jamais de lui-même. Parce que partir, ce serait céder. Ce serait abandonner le flanc. Ce serait désarmer l’ossature idéologique du projet PASTEF. Et ce serait, in fine, exposer Diomaye à une guerre asymétrique, où la technocratie des deals et la fausse neutralité des experts politiques reprendraient les rênes.
Et c’est ici que l’opposition est totalement dépassée. Elle s’imaginait une crise interne, elle découvre une forteresse. Elle cherchait une faille, elle trouve une muraille. Elle croyait détenir l’exclusivité de la contestation, elle découvre une majorité debout, consciente, organisée, et désormais lucide sur la guerre en cours.
Oui, Ousmane Sonko a parlé. Mais il n’a pas seulement parlé. Il a reconstruit une verticale d’autorité. Il a rappelé que gouverner, ce n’est pas seulement administrer, c’est aussi tenir une ligne, porter une éthique, incarner une mémoire. Il a parlé à ses troupes, mais aussi aux observateurs, aux sceptiques, aux adversaires.
Il n’y a pas de rivalité entre Sonko et Diomaye. Il y a une complémentarité historique. Un équilibre entre l’incarnation révolutionnaire et l’ancrage institutionnel. Une dialectique entre le bras et la tête, entre la parole libre et la fonction républicaine.
Et à la fin, il reste ce constat simple, mais tranchant : ceux qui s’opposent à PASTEF ne s’opposent pas à un homme. Ils s’opposent à une force politique organique, à un projet porté par le réel, à une génération debout.
Hier soir, le peuple a retrouvé sa voix.
Et les faussaires de l’analyse politique ont perdu la leur.