Scandales financiers à feu continu

La lumière et les ténèbres: pour que justice se fasse

Il y a des nouvelles qui rassurent, et d’autres qui révoltent. Des signes qui dessinent une promesse, et d’autres qui rappellent cruellement ce que fut notre chute. En l’espace de quelques heures à peine, l’actualité sénégalaise a résumé cette double réalité : d’un côté, la réussite spectaculaire d’un emprunt obligataire qui visait 150 milliards et en a mobilisé 405. De l’autre, un nouveau scandale de détournement public, énième avatar d’un système d’impunité désormais mis à nu.

Ce contraste n’est pas qu’un clin d’œil du calendrier. Il est le reflet d’une époque en bascule, entre un passé que l’on ne saurait enterrer sans autopsie, et un avenir que l’on espère, sans oser encore le croire pleinement. Car si les nouveaux dirigeants prouvent, jour après jour, qu’un État sérieux peut inspirer confiance, la nécessité de faire la lumière sur les années de prédation reste impérieuse.

L’ancien régime, que l’Histoire jugera avec la froideur des faits, aura été celui du déni éthique. Sous des dehors républicains, il a cultivé une économie de rente, favorisé l’entre-soi, et banalisé le vol public. Ce qui est révélé aujourd’hui n’est pas l’écart d’un individu, mais l’aboutissement d’un système. Ce système, il faut le disséquer. Non pas pour nourrir la chronique judiciaire à sensation, mais pour rappeler une vérité simple : on ne construit pas une démocratie solide sur les ruines du silence.

Il ne s’agit pas ici de se venger. La vengeance est l’arme des faibles. Il s’agit d’assainir. D’instituer la vérité comme fondement du renouveau. D’affirmer que désormais, il y aura un prix à payer pour chaque trahison du serment républicain. Que l’argent volé au peuple devra être restitué. Que les comptes seront demandés, et les fautes reconnues.

Et c’est là que réside l’enjeu véritable. La réussite financière des nouvelles autorités, si elle honore leur gestion, n’aura de sens que si elle s’accompagne d’un effort sincère de justice. Car une gouvernance ne se mesure pas seulement à sa capacité à lever des fonds, mais aussi à sa volonté de rendre des comptes. La confiance retrouvée des partenaires financiers est un acquis précieux. Mais la confiance du peuple, elle, reste à consolider.

Nous savons désormais qu’il est possible de mobiliser les énergies, d’attirer les financements, de parler au nom du Sénégal avec crédibilité. Ce que nous attendons, avec tout autant d’impatience, c’est que les faussaires d’hier répondent devant la loi. Que l’on nomme les complices. Que l’on restitue les milliards. Que l’on montre que la République n’est pas une abstraction, mais un bien commun à protéger.

Car l’impunité, elle, est la mère de tous les recommencements. Et l’Histoire, en Afrique comme ailleurs, est truffée de républiques qui ont cru pouvoir refonder sans juger, réconcilier sans réparer. Leurs illusions les ont trahies. Leur indulgence a ouvert la voie à de nouveaux abus. Le Sénégal vaut mieux.

Oui, les temps changent. Oui, des signes d’espoir s’accumulent. Mais il ne suffit pas d’espérer : il faut garantir. Il ne suffit pas de réussir aujourd’hui : il faut s’assurer que demain ne trahira pas cette réussite. Et cela passe, inévitablement, par une exigence sans fard : la justice. Pas pour humilier. Pour réparer. Pas pour punir aveuglément. Pour prévenir lucidement. Pas pour solder un compte politique. Pour restaurer le pacte républicain.

Le pays a été blessé. Il est en convalescence. Et sa réhabilitation morale exige que l’on nomme les ténèbres avant d’espérer durablement en la lumière.

Mamadou Sèye