Sonko, ou l’impossible neutralité

.Par Mamadou Sèye

Penser l’homme, situer l’enjeu, rendre hommage à une rupture

Il y a des hommes politiques qu’on peut aimer ou détester, soutenir ou combattre. Et puis, il y en a d’autres dont la simple existence rend la neutralité impossible. Ousmane Sonko fait partie de cette catégorie rare. Aujourd’hui encore, alors que le président de la République, fort d’une majorité écrasante, tend la main à la classe politique dans un geste qui se veut rassembleur, le nom de Sonko continue de polariser, de fracturer, d’enflammer.
Il dérange. Il gêne. Il bouscule. Il oblige à prendre position. C’est peut-être là, déjà, une première forme de victoire politique.

Car lorsqu’un homme provoque tant de crispations, tant d’attaques, tant de passions contradictoires, c’est bien souvent qu’il incarne quelque chose d’inédit, de structurant, de dangereux pour l’ordre établi. Il faut alors poser la question sans détour :
Que dit Ousmane Sonko de notre époque, de notre pays, de nous-mêmes ?


Une rupture dans la matrice

Sonko ne s’est pas contenté de s’opposer. Il a rompu avec la forme dominante du politique sénégalais. Il n’a pas cherché à entrer par effraction dans les cercles du pouvoir. Il a contesté leur légitimité même.
Et ce faisant, il a renversé la table des compromissions, des connivences, des arrangements qui avaient fini par devenir la norme.

Là où d’autres ont cédé à la logique de la gouvernabilité, Sonko a revendiqué une politique de vérité. Une parole claire, souvent tranchante, mais lisible. Il a redonné de la densité au mot « engagement ». On peut lui reprocher des maladresses, des mots durs, des positions abruptes — mais on ne peut lui enlever la cohérence et le courage.

Je me souviens ici d’une phrase de Gramsci, que nous portions comme un étendard dans nos années de lutte :

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »
Sonko a surgi dans ce clair-obscur. Il n’est pas un monstre. Il est un signal. Le symptôme d’un monde ancien qui craque, d’un peuple en éveil, et d’une jeunesse qui refuse le fatalisme.


L’acharnement comme aveu

Il suffit de voir la manière dont certains segments de la presse, des élites politiques, d’une frange de la société civile s’acharnent sur lui. Chaque fois que le débat politique s’ouvre, certains ne peuvent s’empêcher de dire : « Oui, mais Sonko… »

Ce « mais » est révélateur. Il en dit plus long sur eux que sur lui. Il dit la peur de voir s’effondrer un système de rente, d’intermédiation, de privilèges.
L’hostilité constante envers Sonko est moins un désaccord programmatique qu’un aveu d’impuissance morale.
Et comme souvent dans l’histoire, quand le système ne sait plus répondre à une parole dissidente, il cherche à la discréditer.


Radical, mais stabilisateur

C’est le grand paradoxe. Ceux qui le présentent comme une menace oublient que, sans lui, le pays aurait basculé dans un chaos incontrôlable. Sonko a cristallisé une colère. Il lui a donné un sens, un langage, une stratégie.
Dans un pays où l’indignation menaçait de virer à l’émeute aveugle, il a incarné une ligne, un cap, une discipline.

Le maoïste que je suis — en tout cas, d’après les archives des services de renseignements et les souvenirs sélectifs de quelques camarades de l’UNAPES — reconnaît là une dynamique classique : la radicalité sincère est parfois le seul barrage contre la dissolution totale.
Ce n’est pas un appel à la révolution culturelle, rassurez-vous ! (Même si certains auraient bien besoin d’une petite autocr critique de temps en temps…)
En cela, Ousmane Sonko n’a pas été un facteur de trouble, mais un facteur d’équilibre.
Un médiateur entre le feu populaire et le silence du pouvoir.


Rendre hommage, c’est situer les enjeux

Il ne s’agit pas ici de construire une icône, encore moins un culte. L’hommage ne vaut que s’il est lucide. Mais ce que nous devons à Ousmane Sonko, c’est d’avoir remis en circulation des mots interdits : dignité, justice sociale, souveraineté, refus.
Il a montré qu’un homme seul, déterminé, pouvait créer un point de bascule dans l’histoire d’un pays.

Et pour cela, l’histoire lui sera redevable — même si ses contemporains ne veulent pas encore le reconnaître.


Vers une nouvelle éthique politique

Le moment politique que nous vivons est inédit. Il appelle autre chose qu’un retour à la norme. Il exige une refondation. Et dans cette refondation, nous avons besoin de toutes les forces lucides, même celles qui dérangent.
Ousmane Sonko a déjà marqué l’histoire. Il a inscrit dans les consciences qu’il était possible de dire non — sans se vendre, sans plier, sans trahir.

Il est de ces figures qui, même battues, même neutralisées, continuent d’imposer leur empreinte à ceux qui gouvernent.
C’est peut-être cela, le véritable pouvoir.

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