Par Mamadou Sèye
Ce qui se joue à Soussoung n’est pas un simple incident rural, c’est une blessure ouverte. Et cette blessure réveille une mémoire brûlante. Qui a oublié Ndingler ? Qui a oublié cette mobilisation nationale lorsque des paysans sans défense avaient été menacés d’être expulsés de leurs champs ? A l’époque, la voix claire et ferme d’un citoyen, Bassirou Diomaye Faye, avait traversé le pays. Aujourd’hui, ironie du destin, dans son propre fief, à quelques encablures de ses racines, l’histoire revient comme un miroir cruel tendu aux promesses de justice.
La terre, pour un paysan, n’est pas seulement un espace : elle est la vie même, l’espoir et la dignité. A Soussoung, au cœur de la commune de Ndiaganiao, on veut transformer des hectares féconds en carrières de basalte. Au nom du progrès, dit-on. Mais quel progrès chasse les hommes pour faire place aux machines ? Quel progrès confond le bruit des engins avec le souffle du vivant ?
En plein hivernage, à l’heure où chaque goutte de pluie est une bénédiction, la gendarmerie a investi les champs. Gaz lacrymogène, arrestations, femmes et enfants en panique. Le tumulte des armes a remplacé le chant des semences. Dans un village qui n’a jamais connu que le travail de la terre, on impose la force là où il fallait le dialogue.
Peut-on accepter cela ? Peut-on tolérer qu’en 2025, dans ce pays qui se veut neuf et juste, des paysans soient chassés comme des intrus sur leurs propres terres ? Ces hommes et ces femmes ne demandent rien d’autre que de vivre de leur sueur, protéger l’héritage de leurs ancêtres, laisser à leurs enfants une parcelle où semer le mil et l’espoir.
Le Président de la République est au-dessus de la mêlée, c’est vrai. Mais au-dessus ne veut pas dire en dehors. Lui mieux que quiconque sait ce que signifie la douleur d’un paysan privé de sa terre : il avait fait de Ndingler un symbole, il y avait gagné une légitimité morale. Aujourd’hui, ce symbole s’appelle Soussoung, et les regards se tournent vers lui.
Le silence prolongé devient un fracas. Ceux qui pensent que les villages n’ont pas de mémoire se trompent. Ceux qui parient sur la résignation des campagnes se trompent. Les paysans savent attendre, mais ils savent aussi se lever.
Il ne s’agit pas ici de régler des querelles locales par favoritisme, mais de rappeler une exigence : un pays ne se construit pas contre ses enfants. La gouvernance foncière doit être une école de justice, pas un champ d’abus. La richesse d’un pays ne se bâtit pas sur les larmes et les champs arrachés.
A Soussoung, la pluie tombe, mais c’est un cri qui monte : “Nous avons cru en toi !” Et ce cri ne s’éteindra ni dans la boue ni sous les gaz lacrymogènes. Il traverse l’hivernage et cherche une réponse. Soussoung n’est pas une anecdote : c’est le visage du Sénégal rural, trempé et digne, qui rappelle que sans justice, il n’y a pas de paix.