Souveraineté numérique en Afrique : utopie ou urgence stratégique ?

Par Mamadou Sèye

L’Afrique est entrée dans le XXIe siècle avec une promesse : celle de pouvoir enfin raccrocher les wagons du progrès mondial grâce aux technologies numériques. Mais vingt ans plus tard, une question essentielle demeure : maîtrisons-nous réellement notre destin numérique ? La souveraineté numérique n’est plus une notion abstraite ou réservée aux puissances technologiques. Elle devient une exigence vitale pour un continent qui, sans elle, reste à la merci d’intérêts extérieurs, de manipulations informationnelles et de dépendances techniques.

Aujourd’hui encore, les serveurs qui hébergent nos données critiques sont majoritairement situés hors du continent. Nos gouvernements, institutions publiques et entreprises privées stockent leur mémoire collective dans des nuages numériques qui échappent à toute régulation africaine. C’est une dépossession tranquille, massive et silencieuse. Pendant que les GAFAM et autres géants du numérique structurent la réalité à leur avantage, l’Afrique se contente trop souvent d’être consommatrice passive de plateformes, d’applications et de contenus.

Mais un vent nouveau semble se lever. Le gouvernement sénégalais, à travers son projet de New Deal technologique, place la souveraineté numérique au cœur de sa stratégie nationale. Il ne s’agit plus seulement d’un discours, mais d’un ensemble d’actions cohérentes, articulées autour de la maîtrise des infrastructures, de l’hébergement des données stratégiques, de la formation des ressources humaines et de la création d’un cadre réglementaire fort.

Le récent voyage du Premier ministre en Chine illustre cette volonté politique. Un accord stratégique a été signé, visant le renforcement des capacités numériques du Sénégal, avec un accent particulier sur la souveraineté des infrastructures et la coopération technologique. Il s’agit là d’un signal fort : celui d’un Etat qui refuse de laisser ses données, sa cybersécurité et sa jeunesse numérique sous tutelle.

Car sans maîtrise de ses données, aucun Etat ne peut revendiquer une pleine souveraineté. Il s’agit d’un enjeu géopolitique autant que démocratique. La protection des données personnelles, l’éducation numérique de masse, la production de contenus locaux et la construction de data centers sont autant de chantiers prioritaires. Ce New Deal, s’il est bien exécuté, peut faire du Sénégal un laboratoire avancé de cette souveraineté numérique africaine en devenir.

Des initiatives telles que Smart Africa montrent que la prise de conscience existe à l’échelle du continent. Mais elle reste timide, dispersée, sans coordination panafricaine solide. Le retard cumulé est un appel à l’action. Il faut une vision africaine de l’intelligence artificielle, une interconnexion des capacités nationales, et une régulation adaptée à nos réalités.

Faute de quoi, l’Afrique numérique de demain sera administrée depuis des bureaux à San Francisco, Shenzhen ou Dublin. Ce serait un paradoxe tragique pour un continent si jeune, si connecté, et si prometteur. Le virage enclenché par certaines autorités africaines, notamment au Sénégal, donne l’espoir que la bataille n’est pas perdue. Mais l’heure n’est plus aux diagnostics. Elle est à la construction d’une souveraineté numérique assumée, concrète, irréversible.


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