Par Mamadou Sèye
Ils ont crié au scandale. Ils ont brandi la religion, convoqué l’émotion, et tordu les symboles. Parce qu’Ousmane Sonko, Premier ministre du Sénégal, s’est incliné devant le mausolée de Mao Tse Toung, certains se sont crus autorisés à instruire un procès en hérésie, à peine dissimulé sous des dehors de vigilants défenseurs de la foi.
Mais de grâce ! Ce pays mérite mieux que ces lectures myopes et hystériques de la vie diplomatique. Le monde mérite mieux que cette paresse intellectuelle qui confond civilité et idolâtrie, protocole républicain et prosternation théologique. Et surtout, notre jeunesse mérite mieux que cette rage contre l’intelligence.
Pour le maoïste que je suis — même dégénéré, rires ! — voir un fils d’Afrique, chef de gouvernement sénégalais, s’incliner devant le Grand Timonier, c’est bien plus qu’un geste : c’est un signal, une révérence à la mémoire des luttes du Sud global, un clin d’œil à tous ceux qui, dans les années 70 et 80, ont cru en un monde décolonisé, en une Afrique debout, en une pensée politique venue d’ailleurs.
Moi-même, je l’ai fait. Deux fois. Une première avec Macky Sall, alors Premier ministre. Une seconde avec le Président Abdoulaye Wade. Est-ce que ma foi en a été ébranlée ? Absolument pas. Est-ce que j’ai trahi mon éducation spirituelle ? Pas une seconde. Ce que j’ai fait, ce que Sonko a fait, c’est honorer un pan de l’Histoire mondiale. Une Histoire dans laquelle Mao Tse Toung reste une figure incontournable, contestée certes, mais déterminante.
On n’est pas obligé d’adhérer à tout son héritage pour reconnaître sa place dans le siècle. Mais nier son importance relève de l’inculture pure et simple. C’est oublier que la pensée maoïste a irrigué les combats des peuples dominés, les luttes des étudiants africains, les rêves des jeunes cadres révolutionnaires du tiers-monde. C’est faire abstraction d’un projet politique radical, ancré dans l’autosuffisance, la discipline, la souveraineté populaire.
Et que ceux qui nous parlent d’idolâtrie se calment : l’Islam, dans son essence, distingue l’inclinaison de respect de la prosternation religieuse. Faut-il leur rappeler que même au cœur des traditions musulmanes, on s’incline devant un roi, un père, un maître — sans jamais renier Dieu ? Faut-il leur faire un cours de civilisation pour leur apprendre que dans toutes les grandes Nations du monde, on rend hommage aux figures historiques sans faire d’elles des divinités ?
Ce qui s’est passé à Pékin n’est pas un acte de foi, mais un acte de reconnaissance historique et diplomatique. Le Sénégal a rendez-vous avec la Chine, et la Chine n’efface pas Mao. Elle le conserve, l’assume, le ritualise. Aller en Chine officielle, c’est passer par Mao. Et s’y incliner, c’est comprendre.
Cela dit — et je ne résiste pas à la tentation de taquiner le « camarade » Sonko — il aurait pu pousser l’hommage un peu plus loin. Le Grand Timonier lui-même recommandait à toute personnalité de passage d’accomplir au moins quelques marches sur la Grande Muraille. C’était, disait-il, un passage obligé pour ceux qui aspirent à la grandeur d’âme. Alors camarade Premier ministre, où sont donc passés ces pas symboliques ? Problème d’agenda ? Surmenage diplomatique ? Peut-être… Mais enfin, le maoïste que je suis — même dégénéré, — t’aurait volontiers accompagné dans cette ascension rituelle, à la recherche de souffle, de pierre, et de dialectique en altitude !
Alors oui, camarades, je me réclame encore du maoïsme, même dans sa forme assagie, repensée, reconstruite au prisme de mes années, de mes engagements, de mes lectures et de mes contradictions. Et je le dis à ceux qui glapissent : c’est une fierté que de s’être incliné devant Mao. C’est une leçon. Une posture. Un message.
Dans ce monde de faux-semblants, il reste des gestes qui font sens. Et incliner la tête devant Mao, c’est garder la colonne vertébrale bien droite face à l’Histoire.