A l’heure du panafricanisme : lucidité, responsabilité et sérénité

Par Mamadou Sèye

Camarade, nous sommes à l’heure du panafricanisme assumé, celui que nos pères ont rêvé et que notre génération tente de matérialiser. La libre circulation des biens et des services ne doit pas être un vœu pieux, un slogan vide ou une promesse éternellement repoussée. Elle est une nécessité économique, une respiration sociale, l’oxygène de nos ambitions continentales. Il en est de même de la circulation des personnes, socle humain de tout projet d’intégration. Sans cela, il n’y aura ni marché véritable ni souveraineté collective.

Cependant, dans toute architecture institutionnelle, la fluidité doit être garantie, mais encadrée. Aucun Etat sérieux n’abandonne ses registres, ses identités et ses processus de contrôle au gré des circonstances. L’ouverture ne s’oppose pas à la rigueur, et l’hospitalité ne saurait être confondue avec la légèreté administrative.

Il ne s’agit, dans ce débat, de stigmatiser une communauté, encore moins une composante historique et profondément enracinée de nos sociétés telles que les « Peulh fouta ». Ce peuple, transfrontalier par essence, a construit des dynamiques économiques, pastorales et culturelles qui ont irrigué plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Personne n’a intérêt à projeter sur eux le moindre soupçon collectif. Les identités ne doivent jamais devenir les terrains de projection de nos peurs politiques.

Mais il est un fait que les autorités constatent aujourd’hui : l’afflux important lors des audiences foraines de personnes prêtes à payer cher pour se faire établir extraits de naissance et bulletins d’état civil. Le phénomène interroge. Il met sous tension nos dispositifs administratifs, souvent déjà fragiles. Il brouille les certitudes en matière de nationalité. Il ouvre la voie à des exploitations politiques, à des instrumentalisations dangereuses, aux fantasmes les plus délirants.

Il est donc impératif de garder la tête froide. Poser le problème sans hystérie, avec calme et précision. Le continent a besoin d’Etat civil fiable, de registres tenus, d’identités traçables. Ce n’est pas négociable. L’Afrique se développera dans la confiance, pas dans l’opacité.

Les audiences foraines sont un formidable outil de rattrapage administratif, un moyen de donner existence juridique à ceux qui en ont été privés par la géographie ou la pauvreté. Mais elles ne doivent pas devenir une porte dérobée vers la nationalité, ni un marché noir institutionnel. Il y va de l’équité, de la souveraineté et de la stabilité sociale.

Notre discours doit être juste. Nous devons répéter qu’il n’y a pas de menace ethnique, pas de complot migratoire, pas de “peur de l’autre” à entretenir. Ce qui se pose, camarade, ce n’est pas un problème de communauté, mais un enjeu d’intégrité administrative. Ce que nous défendons, c’est l’État-civil, pas l’identité contre l’identité.

Il faudra renforcer les contrôles, améliorer la formation des officiers d’état civil, harmoniser les registres, numériser les procédures et établir un maillage transfrontalier de vérification. L’intégration continentale exige de la technologie, pas du soupçon permanent. Elle exige des procédures automatiques, pas des approximations locales.

Ce débat est sensible, explosif même, si on le prend par le mauvais bout. Il peut réveiller les démons du populisme, du repli, de la xénophobie rampante. Notre rôle est de sanctuariser la fraternité tout en sanctuarisant l’Etat. L’Afrique doit apprendre à être ouverte et sérieuse à la fois. Ce n’est pas contradictoire. C’est adulte.

Camarade, le panafricanisme ne s’improvise pas. Il se bâtit. Avec cœur, mais aussi avec lois. Avec générosité, mais aussi avec procédures. Ceux qui gesticulent pour attiser les passions servent l’émotion contre la raison. Nous, nous devons servir la Nation.

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