Abdourahmane Diouf ou l’erreur de trop : quand la solidarité gouvernementale vacille

Par Mamadou Sèye

La sortie du Dr Abdourahmane Diouf a provoqué un séisme politique d’une rare intensité. En quelques mots, le ministre a déclenché une onde de choc qui a traversé l’appareil d’Etat, provoqué la réplique du secrétaire d’Etat Ibrahima Thiam, et ouvert une brèche dans la façade de solidarité gouvernementale que le Président Bassirou Diomaye Faye s’efforce de maintenir depuis son investiture. Dans un contexte marqué par la recherche d’apaisement, de justice et de stabilité, l’imprudence de Diouf sonne comme une faute politique majeure.

Appeler à « faire bloc autour du Président » n’est pas, en soi, une hérésie. Mais dans le contexte actuel, cette formule prend un tout autre sens. Car contre qui faudrait-il faire bloc ? Contre Ousmane Sonko, qui s’apprête à s’adresser au peuple le 8 novembre en tant que président de parti ? Contre une opinion publique de plus en plus sensible à la question de la justice et de la reddition des comptes ? Ou contre un peuple qui demande simplement la cohérence entre les promesses et les actes ?

Le Sénégal n’a pas besoin d’un appel au « bloc », mais d’un appel à la raison. Et c’est précisément là que le Dr Diouf s’est fourvoyé. Son ton péremptoire, son assurance hors-sol et sa lecture tronquée du moment national trahissent une méconnaissance du contexte et du poids de sa parole. Car lorsqu’un ministre parle, il ne s’exprime pas en simple citoyen : il engage le gouvernement, il engage l’Etat.

La solidarité gouvernementale n’est pas une option : c’est une règle d’airain. Elle repose sur une discipline partagée : on débat à l’interne, on s’aligne à l’externe. Le ministre qui s’en affranchit rompt ce pacte tacite qui garantit la cohérence de l’action publique. Dans le cas d’Abdourahmane Diouf, la transgression est si flagrante qu’elle met en jeu non seulement sa crédibilité personnelle, mais aussi l’autorité de tout le gouvernement.

En vérité, Abdourahmane Diouf n’a ni le poids politique, ni la légitimité populaire pour prétendre redéfinir la ligne présidentielle. Son intervention maladroite a provoqué une vague d’indignation dans le pays. Le maire de Dakar, des acteurs de la société civile, des figures de la diaspora et même des membres de la majorité présidentielle ont exprimé leur désapprobation. Un ministre, quel qu’il soit, n’a pas vocation à s’ériger en porte-voix d’un clan ou d’une chapelle : il est au service de la République, non d’un courant politique parallèle.

Et dans ce tumulte, la ministre de la Justice, Yacine (Yassine) Fall, apparaît comme la voix du rappel à l’ordre. Elle, qui a clairement déclaré que « pour les crimes et délits, les poursuites iront jusqu’au bout », incarne une conception exigeante et éthique de l’Etat. Si elle devait répondre à Abdourahmane Diouf, nul doute qu’elle rappellerait la primauté du droit sur les appartenances, la nécessité d’une justice impartiale sur toute forme de solidarité partisane. Elle sait mieux que quiconque que la “justice des vainqueurs” serait le poison le plus mortel pour le régime actuel.

Le contraste entre ces deux figures est saisissant : d’un côté, une ministre qui veut construire la confiance du peuple à travers la rigueur et la transparence ; de l’autre, un ministre qui, par une phrase malheureuse, fait planer le doute sur l’impartialité et la cohésion de l’exécutif. Si Yacine Fall décidait de réagir publiquement, ce serait pour rappeler une évidence : la justice n’appartient à personne, et certainement pas à ceux qui veulent en faire un instrument de blocage ou d’exclusion.

L’histoire récente du Sénégal enseigne que chaque fois que la solidarité gouvernementale s’effrite, c’est la stabilité du pays qui vacille. En 1962, déjà, la rivalité entre Senghor et Dia avait révélé les dangers d’un double pouvoir au sommet de l’Etat. Plus tard, les crises internes à certains gouvernements, de Diouf à Wade, avaient montré comment une simple querelle de mots pouvait dégénérer en crise d’autorité. Ce que vit aujourd’hui le pouvoir Diomaye-Sonko n’est donc pas anodin : il s’agit d’un test de solidité politique et institutionnelle.

Pour raison d’Etat, Abdourahmane Diouf ne peut plus rester au gouvernement. Il a perdu la confiance de ses pairs, heurté une partie de l’opinion et fragilisé la cohésion de l’équipe. Le chef de l’Etat a donc deux choix : soit il le pousse à la démission pour préserver la dignité de la fonction, soit il le démet pour préserver la crédibilité du gouvernement. Dans les deux cas, c’est la même logique qui prévaut : protéger l’Etat contre les dérives individuelles.

Il ne s’agit pas ici de vengeance, encore moins d’humiliation. Il s’agit de rappeler que le pouvoir est une responsabilité avant d’être un privilège. Dans un gouvernement, chaque parole engage l’ensemble ; chaque écart se paie collectivement. La République n’a pas de place pour ceux qui confondent loyauté et servilité, ni pour ceux qui s’imaginent pouvoir imposer une lecture partisane de la solidarité nationale.

Le Sénégal traverse une période de transition délicate. Les attentes populaires sont immenses : justice pour les victimes des violences politiques, transparence dans la gestion des deniers publics, réformes profondes pour restaurer la confiance. Le pays ne peut se permettre le luxe des divisions internes. Dans un tel contexte, l’exemplarité n’est pas une option, c’est une obligation.

Abdourahmane Diouf a manqué de discernement. En voulant se positionner comme rempart, il s’est transformé en faiblesse. En prétendant rassembler, il a divisé. En oubliant la solennité de sa fonction, il a ouvert une brèche. Or, l’Etat n’aime pas les brèches. Il les colmate, fermement, au nom de sa continuité et de sa dignité.

Le pari est clair : le jour où Abdourahmane Diouf quittera le gouvernement, il ne parlera plus de bloc autour de Diomaye. Il comprendra, peut-être trop tard, que l’Etat n’est pas un terrain de communication, mais une école de retenue. Et qu’en politique, le silence vaut parfois mieux qu’une imprudence de trop.

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