Par Mamadou Sèye
On se réveille, on prend son téléphone, et on découvre : « Votre compte mobile a été débité de 100 F ». Une somme dérisoire, presque risible. Mais c’est précisément là que réside le génie du crime : faire petit, mais frapper fort dans la masse. Une ponction généralisée, mais toujours suffisamment modeste pour passer sous les radars et éviter la colère de chacun. Pourtant, camarades, c’est une escroquerie parfaitement rodée.
Car qui a demandé à s’abonner à un service de scores sportifs venus de nulle part ? Qui a envie de payer pour un horoscope au rabais, des devinettes banales, ou des actualités bidons ? Personne. Absolument personne. Et pourtant, des millions de Sénégalais se retrouvent abonnés contre leur gré. Les opérateurs parleront de “clic involontaire”, de “validation accidentelle”, de “publicité appuyée par erreur”. Mais soyons sérieux : c’est une stratégie, pas un hasard.
C’est une arnaque invisible construite sur trois piliers : la petitesse du montant, pour éviter la révolte. La masse des victimes, pour garantir le jackpot. L’opacité totale, pour rendre la contestation difficile. On ne demande pas votre accord. On vous impose l’abonnement. On vous impose le paiement. Et l’on vous impose d’aller vous-même chercher comment vous désabonner. Dans un pays où l’on exige des citoyens qu’ils soient transparents dans leurs efforts, leurs revenus, leurs papiers administratifs… des multinationales prélèvent dans nos comptes avec une désinvolture insolente.
Ce système n’est pas une dérive : c’est un modèle économique. On arrache 100 F à 5 millions de personnes ? Ce sont 500 millions de francs par opération de racket invisible. Et si l’opération est répétée chaque mois, ça devient 6 milliards l’an. Sans publicité sur la transaction, sans débat public, sans aucun consentement démocratique.
On a inventé une taxe privée, un impôt sauvage, dont le bénéficiaire n’est pas la Nation mais un cartel du numérique : opérateurs, agrégateurs de services, prestataires de contenus fictifs… Tout le monde se sert. Tout le monde se gave. Et le consommateur, lui, subit. La petite ponction régulière est devenue une rente monumentale.
Ces entreprises, déjà florissantes et dotées de marges colossales, utilisent leur puissance pour exploiter la vulnérabilité technologique des usagers. On sait que la majorité ne vérifiera pas son relevé, ne comprendra pas les codes USSD, n’ira pas se plaindre à l’Agence de Régulation. On sait aussi que les plus touchés sont les plus modestes, parce qu’ils passent par le mobile money pour tout : pain, transport, crédit de communication, solidarité familiale. La précarité finance la richesse.
Et l’Etat ? Avec la quête effrénée de recettes fiscales, il pourrait être tenté de laisser faire, car plus les opérateurs encaissent, plus la base taxable augmente. Mais un Etat qui ferme les yeux n’est pas neutre : il devient complice. Complice d’un mécanisme qui transforme la petite monnaie de millions d’honnêtes citoyens en pactole pour quelques privilégiés de l’économie digitale.
Ce phénomène révèle que l’on s’en prend désormais au centime, parce qu’il est silencieux. Il montre que le numérique peut être une bénédiction pour les uns et une saignée pour les autres. Il prouve surtout que l’injustice la plus dangereuse est celle que l’on ne voit pas, celle que l’on minimise, celle que l’on accepte malgré soi. La liberté du consommateur est foulée aux pieds, et chaque 100 francs subtilisé devient un petit caillou dans le cercueil de la confiance.
Camarade, il faut dire les choses comme elles sont : On se fout de nous. On se fout de notre intelligence. On se fout de notre droit. Cette fois, nous n’allons pas nous taire.