Alassane Ouattara : la dignité confisquée d’une démocratie empêchée

Par Mamadou Sèye

A 83 ans, Alassane Ouattara cristallise les dérives d’une certaine vieille garde africaine, plus soucieuse de survivre que de servir. Loin de l’image du réformateur moderne, il incarne aujourd’hui la peur du renouveau et le sabotage des alternances. Une honte politique pour l’Afrique du XXIᵉ siècle.


On a cru, un temps, qu’Alassane Dramane Ouattara incarnerait la rupture. L’homme venait de loin. Technocrate formé aux meilleures écoles, ancien directeur adjoint du FMI, il affichait ce profil de modernité que nombre d’Africains appelaient de leurs vœux : celui d’un dirigeant rationnel, économe de ses mots, soucieux de résultats, détaché des oripeaux de l’ethnicisme ou du clientélisme. Son accession au pouvoir en 2011, dans le fracas d’une crise post-électorale sanglante, avait fait naître chez beaucoup l’espoir d’un redressement, d’une Côte d’Ivoire enfin tournée vers l’avenir. Treize ans plus tard, que reste-t-il de cette promesse ? Un champ de ruines démocratiques, une vie politique verrouillée, et un vieux monarque républicain qui, à 83 ans, s’accroche avec une férocité tranquille aux instruments du pouvoir.

Ce n’est pas l’âge qui indigne, c’est l’entêtement. Ce n’est pas la longévité, mais l’impasse qu’elle fabrique. Ouattara ne croit plus en l’alternance. Il ne s’y prépare pas. Pire : il la redoute. Et, pour s’en prémunir, il en sabote les conditions élémentaires. L’éviction calculée, presque chirurgicale, de Tidjane Thiam – brillant technocrate, ancien patron du Crédit Suisse, figure de proue d’un renouvellement générationnel et éthique – en dit long sur la nature du régime. Il ne s’agit pas ici d’un simple affrontement de candidatures, mais d’un mécanisme systémique d’élimination des prétendants sérieux. Par des subtilités juridiques, des manœuvres de pure forme, et l’instrumentalisation sans vergogne d’un appareil administratif vassalisé, le pouvoir d’Abidjan fabrique des invalidations à la carte. Ainsi meurt, dans le silence des cours et des commissions, l’esprit démocratique.

On le sait : en Afrique, le processus électoral ne commence pas le jour du vote, mais des mois, voire des années avant. Il commence lorsque l’on définit les règles, les critères, les filtres. Lorsque l’on façonne les institutions à son image, que l’on nomme les hommes « qu’il faut » à la tête des organes de contrôle, que l’on trace les contours de la compétition en écartant les figures gênantes. En cela, Ouattara n’est pas un cas isolé. Mais il est, aujourd’hui, le symbole le plus éclatant d’une génération de dirigeants qui confondent stabilité avec confiscation, continuité avec verrouillage, légitimité avec autoritarisme éclairé.

La Côte d’Ivoire, pourtant, ne manque pas de ressources humaines. Sa jeunesse est dynamique, éduquée, connectée. Sa diaspora brille aux quatre coins du monde. Comment expliquer alors que cette vitalité sociale et économique soit tenue à distance du sommet de l’Etat ? Pourquoi cette peur obsessionnelle du renouvellement ? Pourquoi cette volonté de neutraliser tout ce qui pourrait incarner une autre voie, une autre voix ? Parce que pour Ouattara, comme pour tant d’autres avant lui, l’alternance est une menace existentielle. Elle signifierait une mise à nu, une reddition des comptes, une possible remise en cause de pratiques, de réseaux, d’intérêts. Et comme souvent, l’on préfère détruire le jeu plutôt que d’y perdre.

L’Afrique paie cher ce genre de conservatisme à rebours. Chaque fois qu’un homme s’accroche, ce sont des générations entières qui désespèrent. Chaque verrou posé à la démocratie alimente la tentation de la violence, du cynisme ou de l’exil. Et pendant que les puissances étrangères se satisfont d’un ordre apparent, les sociétés locales s’enlisent dans une frustration explosive. Car au fond, tout le monde sait que le développement n’est pas qu’une affaire de croissance. Il est d’abord une affaire de confiance, de transparence, de respiration politique.

Alassane Ouattara aurait pu entrer dans l’histoire comme un bâtisseur moderne, un démocrate à la stature continentale. Il aura choisi, par confort, par peur ou par orgueil, de s’y inscrire comme un homme du passé. Un vieux chef, obsédé par la maîtrise des apparences, sourd aux signaux du temps. Une figure d’épuisement, et non de transmission.

Mais le temps finira par le rattraper. Les peuples, même muselés, même tenus en respect par l’économie ou la peur, finissent toujours par réclamer leur dû. Et ce jour-là, il faudra bien que les comptes soient faits. Non pas seulement ceux de la Banque centrale ou du FMI, mais ceux de la démocratie trahie, de la relève empêchée, de l’avenir confisqué.


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