Par Mamadou sèye
Elle voulait simplement être plus belle. Un peu plus tendance. Juste une retouche. Un galbe de plus. Une harmonie supposée. Une silhouette remodelée pour correspondre à ce que d’autres ont décidé d’aimer. Elle y a laissé la vie.
Ce n’est pas seulement une femme qui est morte sur une table d’opération, dans une clinique discrète de Dakar ou d’ailleurs. C’est tout un système de pensée qui l’a assassinée à petit feu, avant même que le bistouri ne touche sa chair. Un idéal imposé, martelé, digéré jusqu’à devenir poison.
Ce drame n’est pas isolé. Il rejoint la cohorte des victimes silencieuses de l’esthétique comme norme d’exclusion, de la beauté comme tyrannie. A ses côtés, gisent d’autres corps : ceux qui se sont brûlés à l’hydroquinone, ceux qui ont rongé leur peau au mercure, ceux qui se sont perdus dans le désir de devenir quelqu’un d’autre.
Il faut oser le dire sans euphémisme : l’Afrique noire vit encore sous l’emprise d’un miroir déformant, hérité du regard colonial. Ce miroir ne reflète pas, il falsifie. Il pousse à se renier, à se redessiner, à s’éclaircir, à s’augmenter.
L’ironie cruelle ? Ces normes esthétiques ne sont même pas stables. Hier c’était la minceur à tout prix. Aujourd’hui c’est la « slim-thick attitude » : taille fine, fesses démesurées, hanches calculées. Demain, qui sait ? Les modes changent, mais l’aliénation demeure.
La dépigmentation volontaire et la chirurgie esthétique à visée ethnique sont les deux faces d’une même médaille : celle de l’insatisfaction cultivée, de la honte de soi fabriquée, du désir d’approbation sociale, fût-elle mortelle.
Senghor avait chanté la femme nue, femme noire, peau d’huile, corps de bronze, beauté primitive et souveraine. Il en avait fait un chant d’amour et de réconciliation avec l’Afrique profonde. Aujourd’hui, que reste-t-il de cet héritage ? Une culture de l’artifice, entretenue par les écrans et leurs apôtres du paraître. Une dictature de l’image, où les filtres Instagram dictent la marche à suivre et où les jeunes filles noires, à peine sorties de l’adolescence, rêvent de « BBL » (Brazilian Butt Lift) plus que de baccalauréat.
L’ennemi n’est plus dans les baïonnettes, mais dans les mentalités colonisées. Nous avons intégré l’idée que notre couleur, nos traits, nos formes naturelles étaient des « problèmes » à corriger. On ne nous a pas conquis par la force cette fois-ci, mais par le standard.
Certains objecteront : « Chacun est libre de faire ce qu’il veut de son corps. » Cette phrase, en apparence progressiste, est un alibi paresseux. Car la liberté n’est pas la même chose que la servitude volontaire. Un acte « libre » peut être en réalité purement mimétique, dicté par une norme intériorisée. Quand une société entière pousse ses enfants à s’éclaircir la peau ou à injecter du silicone dans les fesses, ce n’est plus du choix individuel, c’est de la programmation collective. Et le relativisme devient ici une forme de lâcheté déguisée.
Autour de ce culte de la transformation corporelle, gravite un marché juteux, opaque, sans foi ni scrupule. Cliniques clandestines. Crèmes non homologuées. Chirurgiens improvisés. Influenceuses transformées en VRP de la souffrance déguisée en confiance en soi. Tout est bon pour vendre du rêve, même à en mourir.
Et pendant ce temps, les nouvelles autorités sont interpellées. L’espace public est saturé de signaux toxiques et le silence devient complice. La médecine esthétique devient jungle, et le consommateur, une proie docile.
Il est temps de contre-attaquer. Non pas en interdisant, mais en éduquant. En réhabilitant la beauté noire. En enseignant la dignité du corps tel qu’il est. En diffusant des modèles positifs, ancrés dans nos réalités, dans nos esthétiques propres. En osant dire aux jeunes filles : « Tu es déjà belle. Tu n’as rien à prouver. »
Il faut réécrire les standards. Offrir aux nouvelles générations des référents enracinés, pas clonés. Il faut de nouveaux poètes pour chanter les cheveux crépus, les peaux sombres, les hanches larges, les nez plats, les sourires francs. Il faut des voix fortes pour dire : « Nous ne sommes pas des prototypes à modifier. »
Nous sommes entrés dans une ère tragique où l’amour de soi se mesure en litres de silicone et en grammes de poudre éclaircissante. Il faut tirer la sonnette d’alarme. Refuser la banalisation de l’automutilation esthétique. Reconquérir nos corps, nos couleurs, nos contours. Car une société qui pousse ses filles à mourir pour être aimées est une société qui a trahi ses mères.