Par Mamadou Sèye
Il y a des déclarations qui marquent un tournant. Celle faite hier par le Premier ministre, révélant qu’il avait, dès les premiers jours après la prise de pouvoir, demandé et obtenu du Chef de l’État la charge du dossier West African Energy, en est une. En politique, les symboles comptent. Et dans un pays longtemps blessé par les suspicions de gestion opaque des ressources publiques, un tel geste, assumé et public, s’apparente à un appel clair : celui de la transparence.
Mais cette ouverture, aussi salutaire soit-elle, laisse entrevoir une brèche. Elle invite à poser des questions longtemps tues, reléguées dans les marges de l’actualité, là où les urgences du quotidien font oublier l’essentiel. Parmi ces questions, une revient avec insistance : que devient le projet Ndar Energy ?
Une promesse évanouie dans le silence. Il fut un temps où le seul nom de « Ndar Energy » suffisait à alimenter les espoirs des technocrates, des ingénieurs, des responsables politiques et des populations. Une centrale de 250 mégawatts, adossée au gaz sénégalais, installée à Saint-Louis, pour faire de la vieille ville coloniale le cœur battant de la souveraineté énergétique du pays. C’était l’un des piliers du programme « Gas-to-Power », promis comme un tournant historique vers une énergie moins chère, plus propre et surtout nationale .Le projet avait initialement été confié à Mr Moustapha Sène alors directeur général de la centrale solaire de Kahone , avant que les les plus hautes autorités de l’Etat ne le lui retirent purement et simplement. Par lettre. Et c’est dans ce contexte que Ndar Energy a été porté sur les fonts baptismaux. Avec des figures emblématiques du monde des affaires dont Mr baïdy Agne du patronat.
Mais aujourd’hui, c’est le silence qui entoure ce projet pourtant stratégique. Aucune actualisation publique, pas de point d’étape connu, aucun débat dans l’espace républicain. Rien. Ou presque. L’omerta, sur fond de technicité, interroge. Le Sénégal a-t-il reculé sur ses ambitions initiales ? Que reste-t-il de la promesse faite aux populations ?
On sait cependant que le projet est aujourd’hui porté par un opérateur étranger : Aksa, une entreprise turque majeure dans le secteur énergétique. C’est elle qui a été retenue pour concevoir, financer, construire et exploiter la centrale. La compétence technique de cette société n’est pas en cause. Mais les contours du partenariat, eux, demeurent largement flous. A-t-on cédé des parts ? À quelles conditions ? Pour combien de temps ? Quelle redevance ? Quelle place pour le contrôle fiscal sénégalais ? Et surtout, quelle part revient à l’État dans une installation construite sur son sol, alimentée par ses ressources, et destinée à desservir ses citoyens ?
L’implication de Aksa est tout sauf anodine. Elle touche au cœur de la souveraineté énergétique et mérite, à ce titre, d’être scrutée avec rigueur.
Nous sommes dans un contexte de révision salutaire .Il est clair que les autorités actuelles, dans la dynamique de leur volonté de gouverner autrement, ont entrepris de revisiter plusieurs contrats passés, souvent perçus comme léonins, voire nocifs pour les intérêts du Sénégal. Cette démarche courageuse donne un sens nouveau à l’espoir démocratique : celui de voir, enfin, les ressources du pays servir prioritairement à son développement. Tout laisse donc penser que ces mêmes autorités sont parfaitement au fait de ce qui se joue autour de Ndar Energy. Et que rien, dans ce dossier, ne leur échappe.
Mais c’est justement parce que la transparence est devenue une exigence partagée que la presse, dans son rôle d’alerte positive, doit pleinement jouer sa partition. En soulevant les bonnes questions. En éclairant les angles morts. En refusant le confort du silence.
Ndar Energy ne peut pas être un mirage technocratique, présenté comme un joyau stratégique puis relégué dans l’ombre. C’est un projet structurant. Il engage des centaines de milliards. Il touche aux équilibres régionaux. Il symbolise l’avenir énergétique du Sénégal. Ce seul fait impose une transparence exemplaire. Où en est-on ? Quelles sont les échéances réelles ? L’accord signé avec Aksa est-il équilibré ? A-t-il été validé dans le respect des procédures ? Quels sont les engagements sociaux et environnementaux pris ? Et surtout : l’État a-t-il gardé la main ?
Le pays ne peut plus se permettre d’avancer à l’aveugle. Trop de promesses, trop d’attentes, trop d’enjeux.
En nommant le dossier West African Energy, le Premier ministre a posé un acte fort. En poursuivant la revue des contrats, le gouvernement montre sa volonté de rupture avec les pratiques opaques. Ce moment est donc propice à une parole claire, assumée, documentée, sur Ndar Energy. Non pour justifier, mais pour informer. Non pour s’expliquer, mais pour rendre compte.
C’est ce que les citoyens attendent. Et c’est ce que la presse continuera à exiger : non par esprit de défiance, mais au nom d’un pacte moral avec le peuple. Parce que dans un pays riche de ses ressources, chaque kilowatt produit devrait éclairer une conscience, pas susciter un doute. Promesse: la lumière viendra aussi du Nord.