Par Mamadou Sèye
Les dernières interventions d’Alioune Tine donnent l’impression d’un opérateur qui, faute d’un appareil de précision, s’est mis à taper à coups de marteau sur la façade de l’actualité. Son appel récent invitant Bassirou Diomaye Faye et Macky Sall « à se parler », au motif qu’« un silence entre eux pourrait gêner le Sénégal à l’international », relève autant de la dramaturgie que de l’analyse politique. Le message est simple, la logique est mince : il transforme la discrétion d’anciens acteurs en prétendue crise diplomatique.
Il faut d’emblée se demander : qu’attend exactement M. Tine ?
Veut-il une réunion de courtoisie, un communiqué conjoint, ou une médiation visant à régler des contentieux lourds et réels ? Demander un dialogue n’est pas condamnable ; réclamer qu’on interrompe le travail d’un gouvernement en marche pour combler un vide de communication entre deux hommes, c’est confondre symbole et substance.
La diplomatie n’est pas un feuilleton télévisé.
Les chancelleries étrangères ne mesurent pas la santé d’un Etat au volume des conversations privées entre deux figures : elles lisent les politiques publiques, l’évolution des institutions et les actes. Depuis l’investiture de Diomaye Faye, le Sénégal a poursuivi ses échanges internationaux et ses partenariats : ce n’est pas le silence entre deux personnes qui fixe la crédibilité d’un Etat.
Le second travers de cette posture est plus profond : elle participe à l’industrialisation du commentaire.
A force d’inonder l’espace public d’alertes permanentes — « crise », « escalade », « gêne internationale » — la parole citoyenne se vide de sa puissance critique. La répétition dramatique use le public ; à force de crier “au loup”, on finit par ne plus être pris au sérieux quand la menace est réelle. C’est le mécanisme inversé : d’un rôle de vigie, M. Tine glisse vers celui d’un animateur de sensationnalisme. Les instruments d’une société civile crédible sont la précision, la transparence et la construction d’alternatives ; l’incessante mise en scène n’est qu’un succédané de responsabilité.
Sur l’économie, le même mouvement rhétorique apparaît. Parler d’une « crise » sans situer précisément son périmètre — macroéconomique, social, sectoriel — est une facilité qui sert davantage à mobiliser l’émotion qu’à éclairer la décision publique. Oui, le pays porte des défis sérieux : pouvoir d’achat, dette, chômage. Mais transformer ces défis en récit d’effondrement permanent revient à effacer les efforts de réajustement et les signes de continuité institutionnelle. Le vrai travail des observateurs responsables est de distinguer l’urgence réelle de l’agitation rhétorique.
La société civile mérite mieux que cette posture « marché Sandaga » — et la métaphore n’est pas gratuite : sur ce marché, on crie, on enjolive, on brade, puis on passe au stand suivant. En politique, répéter l’alerte sans documents, sans chiffres, sans propositions concrètes, crée de la confusion plutôt que du débat. Quand M. Tine dit « il faut que X et Y se parlent », il oublie de préciser le format, les garanties, l’agenda, la légitimité des médiateurs et la finalité de l’échange. Sans ces éléments, l’appel demeure une incantation.
Que propose-t-on à la place de la complainte ?
D’abord, une exigence de précision : citer la date, le contexte, les données — ne pas laisser la rumeur occuper l’espace vide.
Ensuite, exiger des solutions pratiques : quel mécanisme de rencontre, quelle tierce partie impartiale, quelles garanties de transparence ?
Enfin, mesurer l’effet réel d’un silence présumé sur la scène internationale : preuves, gestes diplomatiques, conséquences tangibles.
C’est en ajoutant ces exigences que la société civile redevient utile ; c’est en les évitant qu’on se transforme en marchandeur d’émotions.
En somme, il y a une différence essentielle entre vigilance et vanité : la vigilance se nourrit de méthode, la vanité d’écho.
Alioune Tine, s’il tient à conserver sa stature d’observateur respecté, ferait bien de troquer parfois la mise en scène pour le travail de fond.
Car à force d’industrialiser le bavardage, on finit par épuiser la confiance qui donna jadis à sa parole sa force.
Et le Sénégal n’a pas besoin d’un vigile qui hurle : il a besoin d’acteurs qui construisent.