Par Mamadou Sèye
L’ancien Président Macky Sall semble n’avoir pas encore fait le deuil du pouvoir. La sortie pour le moins déconcertante relayée par L’Observateur, selon laquelle un pool d’avocats commis par lui aurait adressé des lettres officielles au ministre des Finances, Cheikh Diba, et au président de la Cour des comptes, Mamadou Faye, soulève une série de questions graves — politiques, institutionnelles et morales. A première vue, il s’agit d’un acte de communication calculé, d’une tentative de brouiller la lecture du contexte national dominé par la reddition des comptes et la restauration de l’éthique publique. Mais, à y regarder de près, c’est aussi un signal clair : Macky Sall a décidé d’engager la bataille de la survie politique, au risque d’ouvrir un front direct contre les nouvelles autorités.
Car enfin, quelle peut être la valeur juridique de lettres adressées par un ancien chef d’Etat à des institutions républicaines censées être indépendantes ? Aucune, sinon celle d’une manœuvre politique. Ni le ministre des Finances ni le président de la Cour des comptes ne sont tenus de répondre à une telle correspondance, qui ne repose sur aucune base institutionnelle. En réalité, un ancien Président de la République n’a pas qualité pour saisir les organes de contrôle de l’Etat, encore moins pour interférer dans leur fonctionnement. Toute réponse à ces lettres constituerait une faute lourde pour leurs destinataires, une entorse grave au principe de séparation des pouvoirs et à l’obligation de réserve qui s’impose à toute autorité publique.
Ce geste de Macky Sall intervient dans un moment éminemment symbolique : le Forum Invest In Sénégal, vitrine internationale du redressement économique et de la gouvernance retrouvée, se tient à Dakar. Ce choix de timing ne peut être fortuit. Il s’agit manifestement d’un acte de provocation politique destiné à détourner l’attention, à créer du bruit dans un moment où le pays s’emploie à restaurer la confiance des investisseurs et des partenaires techniques et financiers.
Car ce débat sur la dette cachée ou dissimulée est depuis longtemps tranché. La Cour des comptes en avait établi les contours dans son rapport, le Fonds monétaire international (FMI) l’avait confirmé en confiant un audit au cabinet Mazars, puis, après vérification, avait salué les efforts de transparence du Sénégal. Mieux encore, le dernier Conseil d’administration du FMI consacré à notre pays a félicité les autorités pour leur politique de clarté budgétaire et de sincérité comptable, tout en annonçant un nouvel accompagnement dans le cadre d’un programme renforcé. Ce débat est donc clos sur le plan institutionnel.
Alors pourquoi cette résurgence ? Pourquoi cet activisme d’un homme censé se tenir au-dessus de la mêlée, après douze années d’un règne sans partage ? La réponse est simple : Macky Sall a choisi la confrontation. Non pas pour défendre un principe, mais pour réécrire le récit de sa présidence et tenter de se poser en victime d’une « chasse aux sorcières ». En réalité, son initiative traduit une crainte viscérale : celle de voir le processus de reddition des comptes remonter les traces de son propre système. Beaucoup de ses anciens ministres, directeurs généraux ou proches collaborateurs font déjà face à la justice, certains sont sous mandat de dépôt, d’autres sous contrôle judiciaire, et son propre fils a été convoqué — en vain — par les enquêteurs.
Dans ce contexte, Macky Sall agit comme un homme acculé par l’histoire, qui cherche à reprendre la main sur le narratif avant que la justice ne parle. En adressant des lettres à des institutions publiques, il tente de brouiller la frontière entre la légalité et la légitimité, entre le devoir de rendre compte et le droit à la défense. Mais en réalité, ce faisant, il met en danger les principes républicains qu’il prétend défendre.
Ce n’est pas la première fois que l’ancien Président se montre maladroit dans sa posture post-pouvoir. Ses apparitions récentes à Paris et à New York, où il s’est invité à des activités diplomatiques en marge des séjours du président Bassirou Diomaye Faye, avaient déjà suscité la perplexité. Ces comportements traduisent une obsession de visibilité et un refus de l’effacement qui caractérise d’ordinaire les anciens chefs d’Etat soucieux de préserver leur dignité historique.
Mais cette fois-ci, la manœuvre prend une tournure plus grave. Elle se fait dans un contexte de réarmement moral et institutionnel du pays. Le gouvernement de Diomaye Faye et Ousmane Sonko a mis au cœur de sa gouvernance la restauration de la transparence, la redevabilité et la fin des arrangements d’appareil. En s’érigeant en protagoniste d’un débat clos, Macky Sall ne cherche pas seulement à défendre un héritage : il tente d’intimider ceux qui osent aujourd’hui fouiller dans les zones d’ombre de son régime.
Il y a là un avertissement à peine voilé adressé aux institutions : « Si vous touchez à mon bilan, je vous attaque. » Mais le Sénégal a changé. Le peuple a tranché, le rapport de force moral n’est plus en sa faveur. En vérité, la République ne saurait céder à une pression politique d’un ancien Président en quête de justification. Les nouvelles autorités doivent, dans le calme et la fermeté, tirer toutes les conséquences de ce signal.
Car il ne s’agit plus d’un simple réflexe de communication. C’est désormais un combat radical, un bras de fer engagé par Macky Sall contre les institutions et, par ricochet, contre le pouvoir actuel. Les autorités doivent le mesurer à sa juste gravité. Ce combat ne sera pas mené sur le terrain des idées, mais sur celui de la provocation, de la manipulation et de la victimisation internationale.
C’est pourquoi le devoir des gouvernants, aujourd’hui, est de ne pas tomber dans le piège. Ni réaction passionnée, ni indifférence naïve. Il faut une vigilance républicaine, une rigueur juridique, et une fermeté politique. Toute complaisance serait perçue comme une faiblesse. Toute réponse institutionnelle à ses lettres serait une faute impardonnable, une atteinte à la souveraineté de l’Etat.
Macky Sall doit comprendre qu’un ancien chef d’Etat n’est pas un acteur permanent de la scène politique, mais un gardien du souvenir de la République. Et s’il choisit le tumulte plutôt que le retrait, la provocation plutôt que la hauteur, alors il portera seul la responsabilité de sa déchéance symbolique.
On aurait pourtant souhaité pour Macky Sall une fin moins tumultueuse ; il appartient désormais à lui seul d’en tracer la grandeur ou la disgrâce.