Par Mamadou Sèye
L’absence annoncée de l’Alliance pour la République (APR) au dialogue national du 28 mai n’est ni un coup d’éclat, ni une stratégie. C’est un aveu. L’aveu d’un isolement, d’un embarras idéologique, d’un parti jadis au sommet de l’Etat et désormais orphelin de boussole. L’APR, dont l’histoire aurait pu inspirer un récit républicain de l’alternance réussie, choisit aujourd’hui de tourner le dos à un moment fondateur. Ce refus est moins un acte politique qu’un symptôme : celui d’une formation qui n’a pas compris qu’on ne résiste pas à l’histoire en s’en détournant.
Qu’on se le dise : le dialogue national aura lieu. Il aura lieu sans eux. Et il sera plus fort sans leur ambiguïté. Le Sénégal ne dépend plus de leurs humeurs. Même Rewmi, longtemps tiraillé entre deux fidélités, a décidé d’être au rendez-vous du peuple. Ceux qui, hier, incarnaient la verticalité d’un pouvoir jugé dominateur, se retrouvent aujourd’hui à refuser la main tendue. Par orgueil. Par calcul. Par incapacité à muter en force d’opposition constructive. Par peur, peut-être, de devoir parler sans pouvoir.
Mais refuser de dialoguer, c’est refuser de peser.
L’APR semble croire que son absence est dissuasive, que le Sénégal retiendra son souffle devant ce boycott. Quelle erreur d’analyse ! Comme l’écrivait Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, l’histoire se répète toujours deux fois : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. L’APR, qui fut l’acteur principal d’une alternance prometteuse en 2012, rejoue aujourd’hui une farce politique : celle d’un ancien parti majoritaire persuadé que le peuple va suspendre son avenir pour ses états d’âme.
Mais la dialectique historique ne s’arrête pas à la nostalgie des puissances déchues. Le peuple a parlé en mars. Il a tourné la page. Et comme le rappelait Mao, “un pas en avant dans la révolution est un pas contre les forces de l’ancien monde.” L’APR incarne aujourd’hui ce vieil ordre qui résiste au changement. En s’excluant du dialogue national, elle s’auto-exclut aussi de la recomposition politique en cours.
Il ne s’agit pas ici de chercher l’unanimité autour du dialogue national. Le désaccord est sain. Mais l’absence est un aveu d’échec. Une opposition responsable participe, critique, propose, transforme. Une opposition rancunière boude, proteste, puis disparaît dans l’écho de son propre silence.
On l’a vu ailleurs. Lorsque la droite française boycotta la Résistance, ce sont les communistes, les gaullistes et les anonymes qui en ont écrit les pages glorieuses. Quand certaines forces sociales-démocrates allemandes refusèrent l’unité dans les années 1930, elles laissèrent le champ libre à la tragédie brune. Plus près de nous, certains partis africains, après avoir quitté le pouvoir, ont choisi la désertion plutôt que la refondation. Ils n’en sont jamais revenus.
Lénine l’avait bien noté dans Que faire ? : “Celui qui attend des conditions parfaites pour agir n’agira jamais.” Le dialogue du 28 mai ne sera ni parfait, ni complet. Mais il est là. Il est réel. Il est une tentative de refaire société après des mois d’implosions, de manipulations et de crises multiples. Ne pas y participer, c’est laisser les autres écrire la suite.
Le pouvoir ne se conserve pas par les tweets, les conférences de presse ou les envolées sur les plateaux. Il se reconquiert par l’action, par la parole courageuse, par la capacité à parler au nom d’un intérêt général qui dépasse les agendas partisans. Aujourd’hui, l’APR échoue à se redéfinir. Elle se fige dans une posture d’attente. Mais en politique, attendre sans agir, c’est disparaître lentement.
Un jour, les historiens reliront ce moment. Ils noteront que l’APR, à peine sortie du pouvoir, préféra le retrait au débat, le silence à la responsabilité, le ressentiment à l’élévation. Et ils concluront peut-être, avec Gramsci, que “la crise, c’est quand l’ancien se meurt et que le nouveau ne peut pas naître.” Heureusement, au Sénégal, le nouveau est déjà en train de naître. Il s’écrira avec ceux qui osent encore croire que parler ensemble est la seule manière d’inventer demain.
Et il s’écrira sans l’APR.