Chronique d’un pillage organisé-Acte III : le ministre de l’industrie

Par Mamadou Sèye

L’affaire du Fonds Covid-19 continue de dévoiler l’étendue d’un système de prédation méthodique. C’est au tour de Moustapha Diop, ex-titulaire du portefeuille de l’Industrie, de rejoindre la longue file des pensionnaires de Rebeuss. 930 millions de francs CFA introuvables, une gestion en roue libre, et un peuple de plus en plus exaspéré. Scène après scène, le pillage se joue à huis clos, mais la colère gronde au balcon.


A force de creuser les ruines encore tièdes du régime déchu, on finit par y trouver des motifs de lassitude, presque d’accoutumance. Le scandale n’indigne plus comme il devrait ; il finit par anesthésier. Et pourtant, chaque nouvel éclat de l’affaire Covid-19 nous rappelle la profondeur du puits, la densité de l’opacité et l’arrogance d’une certaine élite qui, durant des années, a confondu gestion publique et gestion personnelle. Le dernier en date à tomber dans l’engrenage judiciaire n’est autre que Moustapha Diop, ancien ministre du Développement industriel et des Petites et Moyennes Industries. Un nom qui, jusqu’ici, flottait en périphérie des grands soupçons, avant de s’échouer, lourdement, sur les rivages d’un mandat de dépôt.

Le chiffre seul suffit à figer les mots : 930 millions de francs CFA. C’est la somme que l’ancien ministre aurait mobilisée dans le cadre du Fonds Force Covid-19, sans être en mesure d’en justifier convenablement l’usage. Ce n’est ni une erreur de caisse, ni une négligence administrative : c’est une brèche béante dans une caisse nationale conçue pour soutenir les urgences sanitaires, économiques et sociales d’un pays frappé de plein fouet par la pandémie. Le contexte rend la faute doublement infâme. Le Sénégal, à cette époque, pleurait ses morts, confinait ses espoirs et cherchait à sauver ses entreprises. Le gouvernement demandait des sacrifices aux citoyens pendant que certains responsables organisaient méthodiquement leur festin.

La mise en cause de Moustapha Diop ne tombe pas du ciel. Elle s’inscrit dans une longue litanie de révélations contenues dans le rapport explosif de la Cour des comptes, publié en décembre 2022. Ce document, aujourd’hui encore, fait office de séisme retardé. On y décèle un système savamment orchestré de surfacturations, d’absence de pièces justificatives, de contrats de gré à gré passés comme on glisse un pourboire à un ami fidèle. Les noms changent, mais la mécanique reste tristement identique. Et le peuple, spectateur de cette vaste farce, commence à manquer de larmes, ou de mots.

Il faut dire que l’ancien ministre n’est pas seul à tomber dans ce gouffre. Sa directrice de l’administration générale et de l’équipement (DAGE), son gestionnaire, et même son chauffeur ont été eux aussi placés sous mandat de dépôt. Preuve que dans cette affaire, les responsabilités sont distribuées en réseau, comme les rôles dans une pièce où chacun connaît sa réplique. Mais ce n’est pas du théâtre. C’est l’histoire d’un fonds de 1000 milliards de francs CFA, destiné à amortir les chocs de la crise, transformé en caisse noire pour prébendiers insatiables.

On aurait tort de réduire cette affaire à une simple suite de fautes individuelles. Il ne s’agit pas que de Moustapha Diop, de Ndèye Saly Diop Dieng, ou de quelque autre ancien ministre aujourd’hui convoqué ou inquiété. C’est un système, un régime, une philosophie de gouvernance qui s’expose ici, dans toute sa nudité. Ce que l’on découvre, c’est une absence de culture de la reddition des comptes, une légèreté insoutenable dans la manipulation des fonds publics, un sentiment d’impunité érigé en doctrine. Et c’est cette doctrine qu’il faut, enfin, mettre en accusation.

Il y a, dans le séisme politique en cours, une leçon plus grande que les seuls noms propres. Si le pouvoir actuel veut vraiment rompre avec l’ancien monde, il ne lui suffira pas de désigner quelques boucs émissaires ni de frapper les plus exposés. Il lui faudra remonter les filières, revisiter les mécanismes, instaurer une vraie traçabilité des dépenses publiques, faire émerger une nouvelle éthique de gestion. Et surtout : agir sans discrimination, sans calcul politique, sans désir de revanche.

Les magistrats, eux, commencent à écrire une nouvelle page. Le peuple les regarde, avec une patience teintée de scepticisme. Car trop de fois on a vu la justice sénégalaise s’emballer avant de s’éteindre, s’élancer avant de se soumettre. Trop de fois, l’ivresse de la transparence a cédé la place au vieux pacte de l’oubli.

Nous en sommes à l’acte III. Il y en aura d’autres. Le rideau n’est pas encore tombé. Mais déjà, sur cette scène trouée de mensonges, un pays tente de retrouver sa voix. Il n’exige pas des sacrifices. Il veut juste que ceux qui ont été chargés de le protéger ne soient plus ceux qui l’ont trahi.

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