Par Mamadou Sèye
Dans ce Sénégal où les foyers peinent à boucler les fins de mois, où les factures d’électricité étranglent des ménages déjà laminés par l’inflation, il n’est plus anodin de s’interroger : à quoi bon les discours sur la souveraineté énergétique si, dans le silence des deals opaques, la lumière coûte toujours aussi cher ?
Le peuple a salué l’image forte du président Bassirou Diomaye Faye et de son homologue mauritanien sur la plateforme GTA. Deux chefs d’Etat côte à côte, incarnant l’espoir d’un destin énergétique partagé, ancré dans les ressources gazières communes. Mais pendant qu’on célèbre à grands renforts de caméras ce symbole de coopération, un autre projet d’envergure, NDAR ENERGY, se dérobe aux regards et au débat public. Et dans ce silence pesant, c’est peut-être un pan entier de notre avenir qui est en train de nous être subtilisé.
NDAR ENERGY, c’est un nom presque poétique, qui sent l’harmattan et les vents de Saint-Louis. Mais derrière cette appellation, se cache un projet de centrale à gaz à cycle combiné de 255 mégawatts, pour un coût estimé à 282 milliards FCFA. Initialement, ce projet devait être porté par Moustapha Sène, directeur général de la centrale solaire de Kahone. Un profil technique, compétent, patriote. Mais sans explication, l’administration Macky Sall lui retire le projet par une simple lettre. Ni débat, ni audit, ni justification. C’est ensuite qu’apparaît NDAR ENERGY, porté par un trio d’hommes d’affaires influents : Baïdy Agne du patronat, Oumar Sow de CSE, et Abdourahmane Ndiaye.
Puis vient la cession : 85 % des parts de Ndar Energy sont cédées à Aksa Global Investments B.V., entreprise turque, via une holding spécialement créée : AKSA-NDAR Holding SA. Depuis, silence radio.
Que reste-t-il du Sénégal dans ce deal ? 15 % symboliques ? Une signature de contrat de rachat d’électricité sur 25 ans avec SENELEC, notre compagnie nationale, qui s’engage à acheter à prix fixé une énergie qu’elle ne maîtrise pas ? Un financement via Afreximbank, qui alourdit encore la dette nationale ? Où est le gain pour le peuple sénégalais ?
On nous dit : il faut produire plus d’énergie. Soit. Mais à quel prix ? Et surtout, à quel bénéfice pour le citoyen ? Alors que les recettes gazières sont encore à venir, que les bailleurs guettent, et que la SENELEC est sous tension financière, comment justifier un tel transfert de souveraineté énergétique à une multinationale étrangère, sans contrôle, sans débat, sans lumière ?
Karl Marx écrivait que les sociétés avancent en faisant la critique de leurs propres fondements. Lénine disait que toute question devient politique dès lors qu’elle touche aux masses. Et Mao, avec son style cru, rappelait que « là où il y a oppression, il y aura résistance ». Ici, il ne s’agit ni d’idéologie, ni de dogme. Il s’agit de dignité nationale.
Car ce n’est pas qu’un projet. C’est un révélateur. De ce qui continue de se faire sans nous, contre nous, au nom de nous. Ce que l’on célèbre à Saint-Louis n’est pas le triomphe de la technologie, mais peut-être la victoire de la résignation. Et si l’on ne veut pas que l’avenir énergétique du Sénégal devienne un gisement de frustrations, il faut que la lumière soit faite. Maintenant.
Qui a autorisé la cession de 85 % des parts ? Quelles contreparties financières pour l’Etat ? Quelle part pour le fisc ? Que devient la gouvernance de ce projet ? Pourquoi l’opacité ? Pourquoi aucune voix ne s’élève au sein du patronat, du Parlement, ou des agences de régulation ?
Ce papier vise à alerter les nouvelles autorités. Elles viennent à peine de s’installer. Mais elles ont désormais le devoir historique de regarder cette affaire droit dans les yeux. Non pas pour punir, mais pour comprendre. Et pour que, demain, le peuple n’ait pas à se demander à nouveau : « Qui nous a volé notre lumière ? »
NDAR ENERGY est peut-être un autre scandale du siècle. Ou bien la promesse d’un réveil démocratique si les bonnes questions sont posées, si les contrats sont ouverts, et si le peuple est informé. Mais pour l’heure, c’est une ombre sur notre futur, une tache sur la promesse de rupture.
Alors que la transparence est le maître-mot de cette ère nouvelle, il serait inacceptable que ce dossier reste dans les tiroirs. Le peuple doit savoir. Et s’il faut, pour cela, allumer un feu de vérité dans les marigots de l’énergie, alors que la plume serve d’allumette.