Par Mamadou Sèye
La crise ouverte entre Ouagadougou et Abidjan dépasse largement le cadre d’un différend bilatéral. Elle révèle la profonde fracture qui secoue l’Afrique de l’Ouest, entre une CEDEAO affaiblie et une Alliance des États du Sahel (AES) déterminée à tracer une nouvelle voie.
Le Sahel brûle d’un feu nouveau. Et les braises couvent désormais jusqu’aux portes de l’Afrique de l’Ouest classique. La crise ouverte entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, sur fond d’accusations de déstabilisation, n’est pas un simple malentendu bilatéral. C’est le signe d’une recomposition brutale du paysage politique régional, portée par une fronde assumée : celle de l’Alliance des États du Sahel (AES).
À Ouagadougou, le ton est monté d’un cran. Le capitaine Ibrahim Traoré ne mâche plus ses mots : il dénonce l’existence d’un « centre de complot » contre son régime, basé à Abidjan. Les anciens dignitaires burkinabè exilés en Côte d’Ivoire sont désormais pointés comme autant de relais potentiels d’une opération de subversion. De son côté, Abidjan rejette catégoriquement ces accusations, rappelant sa tradition d’hospitalité envers des populations burkinabè fuyant la guerre et le chaos.
Mais au-delà de ces passes d’armes, une réalité plus lourde s’impose : la séparation consommée entre l’AES – Mali, Burkina Faso, Niger – et le reste de l’Afrique de l’Ouest pilotée par la CEDEAO. La rupture n’est pas seulement institutionnelle ; elle est aussi stratégique, militaire et existentielle. Pour Ouagadougou, Bamako et Niamey, la CEDEAO apparaît désormais comme une structure discréditée, incapable d’offrir sécurité ou dignité aux peuples sahéliens. La Côte d’Ivoire, fidèle au cadre cédéaoïste, se retrouve ainsi perçue – à tort ou à raison – comme la base arrière d’une contre-offensive politique contre les régimes issus des ruptures récentes.
Dans ce contexte tendu, chaque geste, chaque mot pèse lourd. Le rappel de l’ambassadeur burkinabè à Abidjan n’est pas une péripétie : c’est une alerte sérieuse. De part et d’autre, les armées sont sur le qui-vive, les diplomates sur la défensive. La sous-région vacille entre l’effritement silencieux de ses alliances traditionnelles et l’émergence d’un nouvel axe sahélien résolu à forger sa propre destinée.
La CEDEAO, fragilisée par la défection de trois poids lourds du Sahel, tente de sauver la face à travers des menaces de sanctions et des appels au respect de l’ordre communautaire. Mais face à l’AES, déterminée, portée par une rhétorique souverainiste et galvanisée par le sentiment d’abandon sécuritaire, les vieilles recettes diplomatiques semblent de moins en moins opérantes.
Désormais, tout dialogue semble suspendu à une question cruciale : l’Afrique de l’Ouest choisira-t-elle la voie du conflit larvé ou celle d’une refondation concertée de ses mécanismes de coopération ? À l’heure où les peuples, fatigués des jeux d’ombres, réclament des solutions concrètes, la responsabilité historique des dirigeants ne saurait être plus grande.
Aujourd’hui, au Sahel comme sur les rives de l’Atlantique, les regards seront lourds de défiance. Mais peut-être aussi, quelque part, d’une étincelle d’espoir.