L’alternance politique qui vient de s’opérer au Sénégal ne se résume pas à un simple changement d’équipe. Elle ouvre un cycle nouveau, presque fondateur, nourri par une exigence de rupture profonde, tant sur le plan institutionnel que sur le terrain économique. Le peuple a parlé, dans un langage de clarté et d’urgence : il faut restaurer la confiance, remettre la République debout, et rendre à la politique son âme.
Mais cette renaissance tant attendue se heurte à une réalité têtue. Le pays arrive au rendez-vous du changement dans un état économique préoccupant. Le coût de la vie étrangle les familles. Le chômage, surtout des jeunes, atteint des proportions alarmantes. Les marges budgétaires sont quasi nulles. Et pourtant, c’est maintenant qu’il faut agir.
Les nouvelles autorités n’ont pas cherché à masquer la réalité. Elles l’ont au contraire nommée, sans faux-fuyants. Le Sénégal, comme beaucoup d’économies africaines, a longtemps souffert d’un modèle où la dépense publique était utilisée comme outil politique plus que comme levier de transformation.
Les chiffres sont là, implacables. Une dette publique qui dépasse désormais les 99 % du PIB, une balance commerciale déficitaire, une pression fiscale mal répartie, et un pouvoir d’achat en constante érosion. Les subventions, souvent opaques et mal ciblées, ont parfois été détournées de leur vocation sociale pour servir des intérêts électoralistes.
L’édifice économique ne tenait plus que par des rustines. Il fallait du courage pour l’admettre, il en faudra davantage pour reconstruire.
Une volonté de rupture : austérité ou responsabilité ? Il serait trop facile de qualifier les premières mesures du nouveau gouvernement d’ »austéritaires ». Le mot est galvaudé, souvent chargé d’une connotation punitive. Ce que l’on observe, c’est plutôt une volonté de restaurer l’ordre dans les comptes publics, de rationaliser les dépenses, de remettre le mérite et la transparence au cœur de la gestion.
Les décisions sont fortes : réduction du train de vie de l’État, audit des institutions, suspension de certains projets jugés non prioritaires. Ces choix, loin d’être spectaculaires, envoient un signal : l’ère de l’impunité budgétaire est révolue. L’État donne l’exemple en se serrant la ceinture.
Mais la rupture ne se décrète pas, elle se construit. Elle exige de l’endurance, une stratégie, et surtout une narration claire pour ne pas laisser place aux interprétations les plus alarmistes.
Une économie sous tension : entre espérance et exigence l’espérance est là, intacte. Elle irrigue les discours, elle anime les rues. Mais elle ne survivra pas à la déception prolongée. Il faudra donc produire des résultats visibles. Relancer l’agriculture avec des outils adaptés à notre époque. Développer une véritable politique industrielle. Stimuler l’innovation. Créer des emplois décents, non par décret, mais par un environnement économique sain.
La jeunesse, qui a porté ce changement, attend sa part de destin. Ce n’est pas simplement une question d’emploi, c’est une question de dignité. Elle ne veut plus tendre la main, mais construire de ses mains.
Il faudra aussi sortir d’un certain économisme paresseux, celui qui fait de la croissance un totem sans âme. Le développement, le vrai, ne peut pas être un agrégat de chiffres, mais une promesse tenue d’équité, de justice et de sens. Être vigilant sans être hostile . Soutenir les efforts du gouvernement ne doit jamais rimer avec abdication critique. Le rôle de l’intellectuel, du journaliste, du citoyen engagé, c’est d’accompagner avec lucidité. De dire ce qui va, mais aussi ce qui vacille. De rappeler, si nécessaire, que les principes valent plus que les stratégies.
Nous ne sommes pas dans un temps ordinaire. Le Sénégal est à une croisée des chemins. Il peut devenir un exemple, une singularité dans un continent souvent empêtré dans les cycles de promesses trahies. Mais cela suppose une gouvernance humble, ouverte, responsable. Et une société civile active, qui ne confond pas loyauté et soumission.
Enfin, l’effort comme horizon, la refondation économique est à ce prix. Il faudra du travail, du temps, de la rigueur. Ce ne sera pas une marche triomphale, mais un chemin étroit, exigeant. Le pari, c’est que ce pays, qui a su se réveiller politiquement, saura aussi se discipliner économiquement. Que la passion du changement cèdera la place à la raison de l’action.
Le moment est venu de passer de l’indignation à l’édification. De la parole à l’exemple. Et de rappeler, avec force, que la plus belle des ruptures, c’est celle qui construit.
Mamadou Sèye