Déguerpissements : entre ordre public et déstabilisation

Par Mamadou Sèye

Les déguerpissements et opérations de désencombrement engagés par le nouveau ministre de l’Intérieur, Me Bamba Cissé, suscitent autant de crispations que de satisfactions. Impopulaires, certes, mais nécessaires. Il suffit de circuler dans Dakar pour s’en convaincre : la ville respire enfin, des axes longtemps paralysés sont fluides, et les trottoirs reprennent leur fonction première.

Mais dans un contexte où chaque mesure publique est lue à travers le prisme de la rivalité politique, ces opérations deviennent un terreau fertile pour la surenchère. On y voit moins une politique d’ordre urbain qu’un prétexte pour attiser la colère populaire et tester la résilience de l’Etat.

Or, il faut le rappeler : ces déguerpissements n’ont rien d’arbitraire. Ils répondent à un impératif de salubrité et d’équité urbaine. L’espace public appartient à tous, et non à ceux qui, par la force de l’habitude ou la tolérance coupable de l’Etat, en ont fait un domaine privé. Restaurer l’ordre n’est pas un crime politique, c’est une exigence républicaine.

Pourtant, certains préfèrent instrumentaliser la douleur sociale née de ces mesures. Car, il faut le reconnaître, les déguerpis ne sont pas des coupables, mais souvent des victimes d’un système qui, pendant des années, a laissé faire. Ce sont des hommes et des femmes qui se sont installés faute d’alternatives, qui ont cru à la permissivité comme à un droit acquis. Quand l’autorité se réveille, c’est toute une économie de survie qui s’effondre.

Et c’est là que se glisse le danger. Ceux qui rêvent de désordre savent que la déstabilisation recrute dans la frustration et la colère. Ils repèrent les failles sociales, s’y infiltrent, et s’en servent comme armes politiques.

La manifestation organisée pour réclamer la libération de Farba Ngom en a donné un aperçu inquiétant. Beaucoup de jeunes qui y participaient étaient justement des déguerpis, happés par un discours de revanche et de victimisation. De la perte d’un étal à la colère contre l’Etat, le pas est vite franchi. La récupération politique, elle, ne se fait pas attendre. Ce mélange d’amertume sociale et de provocation politique forme un cocktail explosif que les ennemis de la stabilité manipulent avec cynisme.

C’est dans ce contexte que Pape Malick Ndour a cru bon d’appeler purement et simplement à l’insurrection. Une posture irresponsable et dangereuse, surtout dans une période où le pays a besoin de sérénité et d’unité. De tels appels ne sont pas des opinions : ce sont des menaces directes contre la paix civile.

Face à ces dérives, l’Etat doit rester ferme. Il ne s’agit pas de museler les critiques, mais de protéger la République. Ceux qui appellent à la violence, qui sèment la peur et travaillent à la déstabilisation, doivent être traqués et mis hors d’état de nuire. La tolérance envers les semeurs de chaos est une faiblesse que la République ne peut plus s’offrir.

Le Sénégal a connu trop de blessures politiques pour jouer à nouveau avec le feu. On ne bâtit pas un avenir sur les cendres de la discorde. La stabilité est un bien collectif, fruit de sacrifices, d’équilibres, de compromis. Ceux qui, par calcul ou rancune, veulent la compromettre doivent être regardés pour ce qu’ils sont : des fossoyeurs de la paix sociale.

Restaurer l’ordre, ce n’est pas écraser les faibles. C’est préserver le droit de tous à un espace public sûr, fonctionnel et partagé. C’est aussi protéger ces mêmes déguerpis des manipulations politiciennes qui les instrumentalisent. L’Etat doit leur tendre la main par des mesures d’accompagnement, sans céder sur le principe. La fermeté et la compassion ne sont pas antinomiques.

Ce pays a besoin d’autorité, mais aussi de justice. Il a besoin de dirigeants qui assument la rigueur sans arrogance, et de citoyens qui défendent la légalité sans peur. Car entre l’ordre et le chaos, il n’y a pas de neutralité possible. Ceux qui soufflent sur les braises doivent être identifiés, isolés, neutralisés.

La République ne négocie pas sa stabilité.


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