DER et Tabaski : Quand la bonne intention devient une faute de cap

Par Mamadou Sèye

Alors que le Sénégal s’engage sur la voie d’un redressement économique rigoureux, certaines initiatives, même inspirées par le souci du social, peuvent brouiller les lignes. Le recours de la DER à une opération de distribution de moutons à crédit pour la Tabaski soulève des questions de fond sur la cohérence stratégique de l’Etat. Quand l’urgence conjoncturelle heurte la mission structurelle.

L’intention était peut-être bonne. Mais l’acte, lui, est problématique.
La Délégation à l’entrepreneuriat rapide (DER), structure centrale de la politique économique de l’Etat, a récemment été associée à une opération visant à faciliter l’acquisition de moutons de Tabaski via des crédits. Certains ont cru bon d’applaudir l’initiative. D’autres, à juste titre, ont élevé la voix.

L’enjeu n’est pas d’ergoter sur la forme — directe ou indirecte — de l’intervention. Que la DER prête à des individus ou à un promoteur privé chargé de redistribuer les bêtes à crédit ne change rien au fond du problème. Il s’agit, dans les deux cas, d’une dérive stratégique qui brouille la mission de cette institution publique.

La DER a été pensée comme un instrument structurant de soutien à l’entrepreneuriat, à la création de valeur, à l’innovation économique. Son rôle est d’accompagner des projets viables, générateurs de revenus pérennes, dans des secteurs à fort potentiel. Pas de financer, même indirectement, des opérations à forte charge émotionnelle, dans un cadre festif et conjoncturel.

Prêter pour permettre à des ménages de se procurer des moutons à crédit n’est pas un acte entrepreneurial. Ce n’est pas une action de transformation structurelle. Ce n’est pas non plus un soutien au secteur de l’élevage, car rien ne dit que les bêtes proviennent d’éleveurs locaux intégrés dans une dynamique durable.

Plus grave : une telle initiative ouvre la voie à une logique glissante. Si l’on accepte ce précédent, qu’est-ce qui empêchera demain de solliciter la DER pour la Korité, les fournitures de la rentrée, ou les cérémonies familiales ? Où se trace la frontière entre économie structurante et solidarité circonstancielle ?

On risque alors de transformer la DER en caisse événementielle, au service d’un populisme économique bien intentionné, mais contre-productif. Pire : en passant par des opérateurs privés, on expose l’institution à des soupçons de favoritisme ou d’opacité. L’intermédiation n’efface pas le problème. Elle l’amplifie.

Il ne s’agit pas ici de distribuer des bons points ou des cartons rouges. Il s’agit de rappeler que la crédibilité d’un Etat se mesure à sa cohérence stratégique. Et que l’efficacité d’une politique publique repose sur la clarté de sa mission et la rigueur dans son exécution.

La DER ne doit pas être un guichet émotionnel. Elle doit rester un outil de transformation économique, un levier de croissance, une main tendue vers ceux qui créent, produisent, innovent.

Dans un pays qui cherche à rompre avec les errements du passé, il est vital de garder le cap, même sous la pression de l’urgence sociale ou des attentes culturelles. Ce sont la rigueur, la cohérence et la fidélité à une ligne claire qui donneront aux institutions la solidité nécessaire pour tenir le choc du réel. C’est à ce prix que la promesse de rupture pourra se transformer en véritable redressement durable.


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