Ouattara, Gbagbo : la Côte d’Ivoire au bord du précipice

Par Mamadou Sèye

Après trois mandats présidentiels d’Alassane Ouattara, la perspective d’un quatrième suscite une profonde inquiétude. Et aujourd’hui, avec l’appel de Laurent Gbagbo aux jeunes à « envahir les rues », le pays se trouve au bord d’une crise majeure, où la démocratie vacille entre ambition politique et risque de violence.


La Côte d’Ivoire aurait dû tourner la page depuis longtemps. Mais visiblement, certaines pages collent aux doigts, surtout lorsqu’elles sont imprimées à l’encre du pouvoir. Alassane Ouattara, après trois mandats présidentiels, des années au FMI, et un rôle de stabilisateur post-crise, semble incapable de renoncer à la plus haute fonction de l’Etat. A 83 ans, il laisse filtrer les signes d’un retour, comme un vieux général qui ne veut pas quitter le champ de bataille.

Ce n’est plus de la longévité, c’est de l’acharnement institutionnalisé.Ce qui choque ici, ce n’est pas seulement l’âge ou la durée. C’est le mépris affiché pour l’intelligence collective d’un peuple, et pour la vitalité d’une élite ivoirienne qui n’a jamais été aussi fournie. Que dire, quand un pays comme la Côte d’Ivoire, locomotive économique de la sous-région, donne l’image d’une république otage d’un seul homme ?

Ouattara avait promis qu’il partirait. Il l’a dit, écrit, répété. Puis il est revenu, invoquant la mort de son dauphin comme justification. Et aujourd’hui, le même scénario se profile. Mais à force de revenir, on finit toujours par revenir de trop. La présidence n’est pas un réflexe de survie, encore moins une rente d’image.

Que cherche encore Ouattara ? A finir les chantiers ? A préserver l’équilibre ? Ou à conjurer sa propre sortie ? La vérité est plus crue : il ne fait plus confiance à personne. Ni à ses alliés, ni à ses héritiers, ni aux institutions qu’il a lui-même façonnées. Il croit qu’après lui, c’est le vide. Et c’est précisément cette pensée-là qui est dangereuse. Un Président qui ne prépare personne, qui ne transmet rien, prépare la fracture.

Car pendant qu’il entretient le flou, la société ivoirienne, elle, se tend. Les oppositions se réorganisent, la jeunesse s’impatiente, et l’idée même d’un quatrième mandat réveille les vieux démons. Et pendant ce temps, les vrais défis — emploi des jeunes, réconciliation, réforme démocratique — sont mis sous cloche, suspendus à la volonté d’un homme dont le seul projet semble être… lui-même.

Mais à présent, la situation prend une tournure inquiétante. L’appel récent de Laurent Gbagbo aux jeunes à « envahir les rues » et à se tenir prêts révèle une fracture profonde et dangereuse. Ce ne sont plus seulement les doutes sur la longévité d’Ouattara qui agitent la Côte d’Ivoire, mais un véritable appel à la confrontation.

Ce type de déclaration menace de faire basculer le pays dans la violence, ravivant les blessures encore vives de son passé tumultueux. Plus que jamais, il est urgent que les responsables politiques comprennent qu’il ne s’agit pas seulement d’une lutte pour le pouvoir, mais d’un enjeu de paix et de survie nationale.

La Côte d’Ivoire ne peut pas se permettre ce retour à l’instabilité. Ce pays a besoin d’apaisement, de dialogue et de construction collective. Sinon, ce sont toutes les fragilités accumulées qui risquent d’exploser.

L’Afrique n’est plus au temps des sauveurs. Elle a besoin de bâtisseurs de systèmes, de passeurs de relais, pas de fétiches politiques. Ce continent a trop souffert de ces présidences à rallonge qui finissent en impasses ou en tragédies. Ouattara et Gbagbo n’ont plus rien à prouver, mais ils risquent de tout gâcher.

Ce qui aurait pu être une transition apaisée risque de devenir une sortie par effraction. Et c’est là toute l’ironie : le refus de céder le pouvoir, la tentation de la violence politique, finissent toujours par ternir un héritage et plonger un pays dans l’incertitude.

Il n’y a pas d’homme providentiel. Il n’y a que des moments, et celui de la Côte d’Ivoire est aujourd’hui suspendu à un fil.


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