Par Mamadou Sèye
Alors que le Sénégal tente de reconstruire un Etat sobre, juste et efficace, certains s’acharnent à imposer une lecture biaisée des actes posés par les nouvelles autorités. Voitures de députés, avions pour missions officielles, costumes décortiqués : à défaut de scandales, ils inventent des polémiques. Mais la vraie question est ailleurs. Pourquoi ce silence face aux détournements massifs sous l’ancien régime ? Pourquoi cette rage contre ceux qui n’ont encore rien volé ? Il est temps de mettre les pendules à l’heure.
Depuis plusieurs jours, un bruit persistant monte, gonflé de mauvaise foi et d’indignation feinte : la dotation de véhicules aux députés ferait scandale. On dénonce un privilège, on feint de découvrir une dépense publique, on crie à l’indécence comme si l’Assemblée Nationale s’était transformée en concession automobile de luxe.
Mais que reproche-t-on exactement ? Une décision rationnelle, budgétairement plus soutenable que le système précédent de locations onéreuses, souvent surfacturées et suspectes ? Un recentrage sur la propriété publique utile, qui évite justement les dérives passées et les contrats de gré à gré sans contrôle ? Toute cette agitation masque mal une vérité simple : cette réforme dérange parce qu’elle coupe court à certaines habitudes bien ancrées. Et ceux que la lumière gêne se mettent à crier plus fort.
Les mêmes, d’ailleurs, s’indignent des vols ministériels. Le Premier Ministre, en déplacement pour représenter le Sénégal à l’extérieur ou à l’intérieur du pays, n’aurait-il pas dû prendre un bus ? Ou appeler un « clando » ? Derrière l’ironie de cette question se cache une absurdité : on voudrait que nos institutions aient de l’envergure, mais que leurs représentants se déplacent comme des clandestins. A ce rythme, demain on exigera du Président qu’il voyage incognito sur une moto Jakarta.
Et cela ne s’arrête pas là : voilà qu’on scrute les vestes, les montres, les lunettes. Le nouveau code vestimentaire des dirigeants serait devenu une affaire d’Etat. Bienvenue dans l’ère du populisme voyeur, où l’on confond pauvreté et probité, simplicité et nullité.
Mais au fond, ce n’est pas tant ce que les dirigeants actuels font qui dérange. C’est ce qu’ils ne font pas : ils ne volent pas, ils ne détournent pas, ils ne transforment pas l’Etat en caisse personnelle, et cela, pour certains, est intolérable. Voilà un an que le Sénégal a changé de cap, et aucun scandale de gestion n’a éclaté. Pas un seul. Pas même un soupçon. Cela mérite d’être souligné dans un pays longtemps habitué aux affaires, aux commissions occultes et aux liasses égarées dans des comptes offshores.
Et pourtant, chaque jour apporte son lot de révélations sur la gestion calamiteuse et prédatrice du passé. Des milliards évaporés, des institutions asservies, des passations de marchés douteuses, des fonds publics utilisés comme caisses privées. Où sont les cris d’orfraie ? Où sont les veilleurs de la République quand la lumière jaillit sur des années de ténèbres ?
Non, ce pays n’a pas élu des pénitents en haillons. Il a confié les clés de la République à des hommes et des femmes qu’il jugeait intègres, compétents et crédibles. Gouverner n’est pas faire la manche sur les plateaux de télé. Gouverner, c’est assumer l’autorité républicaine, la responsabilité publique et la dignité d’un Etat qui, enfin, ne mendie plus sa propre décence.
Il faut donc le dire, sans détour : le misérabilisme n’est pas une politique, c’est une imposture. Ce n’est pas en baissant les yeux, en roulant à vélo ou en portant des tenues froissées qu’on gagne en légitimité. Ce pays a besoin de dignité, pas de folklore ; d’efficacité, pas de théâtre ; de résultats, pas de mises en scène.
Oui, les nouvelles autorités doivent rendre des comptes. Mais à bon escient. Pas à ceux qui n’ont jamais protesté contre les vrais forfaits. Pas à ceux qui s’inventent une vertu rétroactive après avoir fermé les yeux sur le pillage méthodique de l’Etat.
L’histoire récente du Sénégal est claire : la confiance populaire s’est construite sur une rupture morale et politique profonde. Il serait absurde de la compromettre pour des critiques de surface, inspirées plus par la nostalgie du désordre que par le souci du bien public.
On peut bien scruter les costumes et compter les voitures. Mais pendant ce temps, le pays avance. Et c’est cela, le vrai scandale pour certains.