Par Mamadou Sèye
Au Sénégal, le lundi n’est pas un simple jour de la semaine. C’est une institution. Un mythe. Un horizon moral. C’est le jour où tout recommence, où tout se répare, où tout s’arrange. Le lundi, on arrête de fumer, on commence le sport, on range sa vie et on promet à Dieu de ne plus recommencer. C’est le jour des grands serments, des calendriers neufs et des bonnes intentions éternellement reportées.
Chaque dimanche soir, le pays entier devient un immense bureau de planification : “Demain, je change tout !”. L’employé décide qu’il ne sera plus en retard, l’étudiant jure qu’il va reprendre les cours à 8h, la vendeuse de poisson promet qu’elle ne fera plus crédit, et même le politicien se dit qu’il va enfin tenir parole. Le problème, c’est que le lundi finit toujours par tomber un lundi.
Le Sénégalais a un rapport particulier au temps : il le négocie. Il vit dans une chronologie affective. L’heure est rarement une donnée fixe ; elle dépend du cœur, du ventre et parfois du climat. Résultat : le lundi commence souvent le mardi, et les résolutions s’éteignent dès le premier attaya. “Yalla rekka xam !”, dit-on pour se consoler — seul Dieu sait… même si ça ne commence jamais.
Ce culte du lundi a un air de déjà-vu. Dans chaque quartier, il y a ce cousin qui répète depuis 2014 : “Lundi, je vais courir à la Corniche.” Il a même acheté des baskets. Le problème, c’est qu’elles sont devenues des pantoufles de salon. Il y a aussi la tante qui dit : “Lundi, je commence le régime.” Elle le dit en croquant un beignet. Et le chauffeur de taxi qui assure : “Lundi, j’arrête les palabres politiques.” Le lundi arrive, il monte un client qui parle de politique… et c’est reparti pour une semaine d’expertises improvisées sur Macky, Diomaye, le FMI et les Lions.
Le lundi, c’est aussi la journée mondiale du renouveau administratif. On a tous entendu ce grand classique : “Reviens lundi !” C’est la phrase magique qui repousse tout problème à une date indéterminée. L’administration sénégalaise vit dans un lundi permanent. Elle ne ferme jamais une porte, elle la repousse au lundi suivant. Et le citoyen, bon joueur, finit par s’y habituer : “Ils m’ont dit lundi. Yalla rekka xam.”
Mais attention : la promesse du lundi n’est pas seulement paresseuse. Elle est poétique. C’est une façon élégante de rester optimiste dans un monde compliqué. Elle permet de croire qu’il y a toujours un recommencement possible, une nouvelle chance à venir, une page blanche qui nous attend. Le Sénégalais n’abandonne jamais ; il reporte. Et c’est peut-être ce qui le sauve.
D’ailleurs, tout dans notre vie nationale est rythmé par ce lundi symbolique. Quand un gouvernement promet une réforme, il dit toujours : “Dès la semaine prochaine.” Traduction : lundi. Quand un parti politique annonce un congrès, il précise : “Après la Tabaski.” Traduction : un lundi d’après. Quand un ami te doit de l’argent, il jure : “Lundi, je te rembourse.” Là, tu sais que ton argent vient d’entrer dans une retraite spirituelle prolongée.
Le lundi, c’est aussi le jour de tous les espoirs religieux. Les mosquées et les églises regorgent de fidèles repentants qui ont juré la veille de se rapprocher de Dieu. Et Dieu, dans sa miséricorde infinie, connaît très bien ce scénario : le lundi, tout le monde promet ; le mardi, tout le monde oublie ; le vendredi, tout le monde recommence. La spiritualité sénégalaise est circulaire — elle tourne autour du lundi.
Et que dire de nos gouvernants ? Eux aussi vivent sous le signe du lundi. Chaque fois qu’un scandale éclate, on annonce une “commission d’enquête” pour lundi. Chaque fois qu’un ministre s’enflamme, il promet une “réforme immédiate” dès lundi. Le lundi, dans la bouche politique, est une date magique qui ne blesse personne : elle promet tout, sans rien fixer. Le peuple, fatigué mais philosophe, se dit : “On verra lundi prochain. Yalla rekka xam.”
Mais il faut bien l’avouer, camarade : malgré tout cela, le lundi reste une promesse d’espérance. Ce jour-là, le Sénégalais croit à nouveau en lui-même. Il se relève, il se brosse, il se refait un plan. Peu importe s’il échoue encore, il aura au moins essayé d’y croire. C’est peut-être là le vrai génie de ce peuple : la résilience sous forme de rendez-vous hebdomadaire. Tant qu’il y aura un lundi, il y aura un espoir.
Alors, en ce dimanche, que chacun prépare son prochain serment : “Lundi, je m’y mets !” On sait tous que ça ne tiendra pas, mais on le dira quand même. Parce que le rire, au fond, est notre meilleure manière de continuer à espérer.
Et toi, camarade, tu fais quoi lundi ?