L’appel à l’insurrection : le dernier naufrage d’un système défait

Par Mamadou Sèye

Il y a des paroles qui, à elles seules, trahissent le désespoir politique. Celles prononcées par Pape Malick Ndour, ancien ministre et figure de l’APR, en font partie. En marge d’une manifestation pour la libération de Farba Ngom ce samedi , l’homme a publiquement appelé à « une insurrection populaire pour que Macky Sall revienne terminer le mandat en cours ». On croit rêver, mais c’est bien réel : un ancien responsable d’Etat prônant la subversion contre un gouvernement démocratiquement élu, au nom d’un ancien chef dont le mandat est bel et bien achevé.

Ce n’est pas une maladresse. Ce n’est pas un lapsus. C’est un aveu politique et une dérive grave. Un aveu de panique chez ceux qui voient s’effondrer l’édifice patiemment bâti autour du pouvoir personnel et du confort des privilèges. Une dérive parce qu’un tel appel, dans un Etat républicain, relève ni plus ni moins d’une incitation à la rébellion contre la légitimité populaire.

Le Sénégal n’est pas un royaume. Le mandat de Macky Sall a pris fin dans la clarté du droit et dans la transparence du suffrage. Il n’y a donc ni vide institutionnel, ni continuité dynastique possible. Appeler à son retour, au nom d’une prétendue « transition » ou d’une « reprise de mandat », c’est défier le peuple souverain qui a, le 24 mars, tranché librement et pacifiquement. Et c’est ce peuple — pas une élite nostalgique — qui détient la légitimité suprême.

En vérité, cette sortie de Pape Malick Ndour est symptomatique d’une élite déchue qui ne se remet pas de la perte du pouvoir. Pendant plus d’une décennie, ces hommes ont confondu l’Etat avec leur patrimoine personnel, les institutions avec leurs clientèles et la démocratie avec un instrument de domination. Aujourd’hui, les voilà qui s’érigent en « résistants » après avoir méthodiquement vidé la République de sa substance morale. Quelle ironie !

Mais ce n’est pas qu’une question morale : c’est un danger politique concret. Les mots ont un poids. Un appel à l’insurrection, proféré dans un climat social tendu, c’est une étincelle sur une nappe d’essence. Car il existe des forces, tapies dans l’ombre, prêtes à instrumentaliser la moindre provocation pour semer le chaos. Et derrière les slogans de « justice » ou de « libération », se dissimulent souvent les calculs d’un retour impossible.

Les Sénégalais, eux, ont trop de lucidité pour se laisser embarquer dans ce scénario. Ils ont fait le choix du changement pacifique, de l’alternance responsable et de la transparence. Ils savent que le pays traverse une période difficile, marquée par la reconnaissance officielle d’une dette cachée que le FMI lui-même vient de confirmer. Ce n’est donc pas le moment d’ajouter le désordre à la fragilité économique, ni la subversion politique à la détresse sociale.

Ceux qui ont conduit le pays à la dérive financière actuelle devraient faire profil bas. Ils devraient rendre des comptes, pas donner des leçons. Car on ne peut pas piller la maison commune et ensuite accuser le nouveau propriétaire des fissures qu’on a laissées. La morale politique la plus élémentaire exige au contraire de reconnaître ses fautes, de se taire, et de laisser le peuple respirer.

La déclaration de Pape Malick Ndour doit donc être prise pour ce qu’elle est : une tentative de déstabilisation, une provocation calculée, un ballon d’essai pour tester la résistance du pouvoir. Mais elle doit recevoir la réponse qu’imposent la gravité du moment et la protection de la République : la fermeté. Car la démocratie, ce n’est pas l’anarchie. La liberté d’expression ne peut pas être le paravent de l’appel à l’insurrection. Et l’État, garant de la stabilité nationale, ne peut tolérer que des anciens dignitaires s’autorisent à flirter avec le putschisme civil.

L’histoire retiendra que ceux qui ont eu tous les pouvoirs, toutes les ressources et toutes les chances n’ont trouvé, après leur défaite, que la menace et le désordre comme ultime stratégie. Le peuple sénégalais, lui, avance. Il ne se retournera pas pour suivre ceux qui ont conduit la caravane dans le désert.

Le pouvoir actuel n’a pas besoin d’user de répression, mais il doit opposer à la provocation la rigueur de la loi. Car le vrai danger, aujourd’hui, ce n’est pas l’opposition — moribonde, divisée, sans projet — mais la connivence silencieuse entre certaines forces politiques et syndicales cherchant à déstabiliser le pays par procuration. La vigilance doit donc être totale.

Il ne s’agit pas de museler le débat, mais de préserver la République des apprentis sorciers. Le Sénégal a bâti sa stabilité sur la maturité de ses institutions et la discipline de son peuple. Ceux qui rêvent d’insurrection doivent savoir que cette nation ne brûlera pas pour satisfaire les ambitions de quelques nostalgiques.

Car, au fond, cet appel désespéré révèle une vérité crue : le vieux système ne sait ni se taire, ni se réinventer. Il cherche dans le chaos ce qu’il a perdu dans les urnes. Mais le peuple sénégalais a tourné la page. Il veut justice, pas revanche ; transparence, pas retour en arrière ; stabilité, pas tumultes.

Alors oui, il faut le dire avec calme mais fermeté : le Sénégal n’est pas à vendre aux déçus du pouvoir. L’insurrection qu’ils appellent de leurs vœux restera un rêve stérile, parce que la conscience nationale veille, et que le peuple, dans sa sagesse, ne permettra jamais qu’on confisque à nouveau sa victoire démocratique.

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