Par Mamadou Sèye
Les temps sont durs, certes. Mais à force de répéter que tout va mal, certains en viennent à souhaiter l’effondrement pour pouvoir dire « on vous l’avait dit ». Or, pendant ce temps, le pays vit, respire, rit. Et tient debout. Récit d’un paradoxe bien de chez nous.
Il y a des gens — on ne sait pas s’ils mangent du citron au petit-déjeuner ou s’ils dorment dans des lits en pierre — mais à les entendre, le Sénégal est à l’agonie, en lambeaux, au bord de l’effondrement. A leurs yeux, tout est crise, pénurie, tension, complot, fin du monde. Leur sport favori ? Saupoudrer chaque discussion d’un soupçon d’apocalypse.
Et pourtant…
Hier encore, à Sandaga, une marchande de légumes chantait en réarrangeant ses tomates. A Pikine, un apprenti de car rapide a dribblé la circulation comme un champion, tout en lançant : « Allez, allez, cinq places, cinq places ! » Sur les terrasses, des rires éclatent. Au village, des gamins jouent pieds nus en poursuivant un ballon crevé, et les grands philosophent autour d’un thé brûlant. Bref : la vie continue. Tranquillement. Parfois difficile, mais vivante.
Alors non, on ne nie pas les défis. Le chômage pique, les prix flambent, et l’électricité joue parfois à cache-cache. Mais de là à vouloir nous faire “manger de la crise” au petit-déj, au déjeuner et au dîner… Non merci. On préfère un bon ceebu jën, avec un zeste d’espoir et une pincée d’autodérision.
Ce peuple a traversé des décennies de hauts et de bas, sans jamais vendre son rire. Même dans les embouteillages monstres, il y a toujours un passager pour lâcher une blague : « Tu finiras bien par rentrer chez toi, même si c’est demain. » Et tout le monde rigole.
La paix sociale, ce n’est pas l’absence de problèmes. C’est cette capacité à se parler sans se mordre, à se plaindre sans tout brûler, à se débrouiller sans désespérer. Et ça, désolé pour les prophètes de malheur : c’est un trésor national.
À ceux qui préfèrent les mégaphones aux solutions, les incantations à l’action, on dira simplement ceci : le pays n’est pas un volcan à allumer pour faire le buzz. Il est une marmite sur le feu, pleine de patience, de sagesse… et parfois de piquant. Et ça mijote encore.