Détente -Mariages, baptêmes, funérailles…et 100.000F : la nouvelle taxe invisible de la société sénégalaise

Par Mamadou Sèye

La solidarité est devenue une performance sociale. À coups d’enveloppes, de tissus imposés et de listes de présence plus serrées qu’un contrôle douanier, le Sénégalais moyen navigue chaque week-end entre baptême, mariage, décès… et transferts mobiles. Derrière le folklore : une pression, presque institutionnelle. Une fiscalité du cœur, sans code ni plafond, mais aux conséquences très réelles.

La parenté élargie, élargit surtout les dettes. Il ne suffit plus de compatir, il faut contribuer. Pas symboliquement, non : considérablement. De préférence en espèces sonnantes et trébuchantes. Celui qui donne peu est jugé ; celui qui s’abstient est rayé. La solidarité est cotée en bourse, et la valeur de l’amitié se mesure à l’épaisseur de l’enveloppe.

La guerre des enveloppes a ses codes. Moins de 10 000 F, c’est presque une insulte. 20 000 F, c’est acceptable si l’on est discret. Mais pour « être vu », pour rester dans le cercle, pour ne pas faire jaser — il faut 50 000 F minimum. Dans certains cas, le chiffre s’envole. On ne donne plus pour aider. On donne pour exister.

L’économie de la louange s’essouffle. Pendant des années, les chanteurs de circonstances et les griots en cravate ont fait fortune. Un nom prononcé au bon moment, un chapelet de louanges au micro, et l’enveloppe était assurée. Mais depuis peu, le marché se grippe. Les nouvelles autorités ont changé la musique. Finis les “X a donné 5 millions à la cérémonie de Y”. Plus de cérémonies fastueuses aux frais du contribuable. Même les distributeurs de billets officiels semblent au repos.

Une loi existe pourtant. Elle interdit le gaspillage ostentatoire dans les cérémonies familiales. Une loi saluée, mais jamais appliquée. L’élite la contourne, le peuple l’ignore. Pourtant, avec ce changement d’atmosphère politique, certains signes émergent : moins de distribution publique, moins de cérémonies étatiques, et peut-être, bientôt, moins de chantage affectif.

Vers une nouvelle culture de la décence ?
Il faudra bien y arriver. À force de faire semblant, on finit par s’endetter pour plaire à ceux qui ne nous regardent même pas. La teranga n’a jamais été une compétition. Donner n’a de sens que lorsqu’on le fait librement. Et si le changement ne vient pas d’en haut, il peut venir de nous.

Repenser la solidarité, ce n’est pas devenir radin. C’est redevenir humain.

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