Détente-Quand Photoshop devient programme politique

Par Mamadou Sèye

Camarades, il existe des certitudes dont nous pensions être définitivement prémunis. Parmi elles, celle selon laquelle il fallait au moins une bonne dose de jugeote pour aborder la communication politique. Et pourtant, certains nous rappellent régulièrement que même cette évidence peut vaciller. Il y a eu, ces derniers jours, une marche de l’opposition. Une initiative parfaitement légale, autorisée, annoncée, assumée. Une marche qui, quoi qu’on en dise, n’a pas mobilisé autant qu’espéré. Ce n’est pas dramatique : toutes les marches ne peuvent pas ressembler à un meeting de campagne, un retour de Coupe d’Afrique ou une distribution gratuite de bons de carburant.

Mais voilà : lorsque la réalité t’offre à boire une eau tiède, certains préfèrent y verser du sirop fluorescent pour la rendre plus excitante. Une photo a alors mystérieusement surgi, exhibant une foule dense, compacte, débordante. Un simple problème : elle datait d’une autre manifestation, et appartenait… à Yewwi Askan Wi. Il suffisait d’ouvrir l’œil pour distinguer, sur les banderoles, des indices trop flagrants pour être ignorés. Une retouche grossière, un recyclage maladroit, bref : un bricolage communicationnel de garage.

On s’attendait à mieux, tout de même. Le public sénégalais a désormais l’œil formé, aiguisé par des années de joutes politiques, de buzz, de manipulations et d’intox numériques. Il sait reconnaître les vieilles photos repeintes comme on reconnaît un vieux thiébou dieune réchauffé trois fois : le goût trahit l’illusion. Ceux qui ont tenté le subterfuge ont ainsi offert au peuple un véritable moment de comédie, sans le vouloir. Et le comique, dans sa noblesse, exige au moins un minimum d’effort. Là, tout de suite, on a eu du bas de gamme.

Le plus savoureux dans cette affaire, c’est que les réseaux sociaux ne pardonnent rien. Certains internautes, plus rapides que l’éclair, ont ressorti l’image originale, l’ont juxtaposée à la version fraîchement maquillée, et le verdict a été immédiat : tentative de triche, sur le fait, flagrant délit. Ce qui devait rebooster la mobilisation s’est transformé en séance gratuite de stand-up politique. Le buzz escompté est devenu boomerang : et quelle force de retour !

Bien entendu, on nous dira qu’il y a toujours « quelqu’un » derrière ces bourdes. Quelqu’un qui poste beaucoup trop vite, qui veut faire plaisir, qui pense bien faire. Mais la politique n’est pas un terrain d’amateurs pressés. Encore moins à l’heure où chaque smartphone est une salle d’audience. Les communicants, eux, ont dû glousser en voyant la scène : voilà un cas d’école, à montrer dans les séminaires pour savoir ce qu’il ne faut jamais faire. Et encore, le mot « glousser » est faible.

Et pendant ce temps, la classe politique – la vraie – continue son débat, critique, manifeste, propose, s’organise. Pendant que d’autres manipulent des pixels, la République, elle, avance au pas réel. Ce n’est pas avec Photoshop que l’on construit un projet. Ce n’est pas non plus avec des illusions qu’on convainc un peuple. L’histoire politique du Sénégal l’a enseigné mille fois : les Sénégalais ne se laissent pas berner, et lorsque la magie est trop visible, ils rient. Longtemps.

On aurait pu espérer qu’après tant d’années d’expérience collective, les artifices de ce genre seraient jetés au cellier. Mais l’être humain est têtu. Quand la réalité politique n’offre pas ce qu’on rêve, il y a toujours quelqu’un pour tenter de retoucher le réel, croyant que le peuple ne verra rien. Résultat : non seulement il voit, mais il partage, il commente, il rit. Et dans ce rire, il y a toute la sanction symbolique : on ne joue pas avec l’intelligence collective.

Le drame dans le comique, c’est que cette bourde donne raison à ceux qui affirment que certaines forces sont prêtes à tout pour créer le buzz. Or, le peuple sénégalais, dans sa profondeur, distingue le sérieux du bruit, le sincère du truqué, l’engagement du décor. Il se détourne instinctivement de ce qui sonne faux. Et ça, ce n’est pas une rumeur, mais une constante sociologique.

Alors camarades, profitons de ce moment léger. Rions un peu. Après tout, la démocratie est aussi un théâtre, et dans ce théâtre, certains ont choisi un rôle de figurants agitant de vieilles affiches. D’autres, par contre, écrivent l’histoire, la vraie, avec cohérence, discipline et lucidité. Car au fond, la vérité ne se truque pas. Les foules non plus.

En attendant la prochaine tentative de magie numérique, savourons la beauté d’un peuple qui ne se laisse pas prendre au piège, et continuons d’observer avec bienveillance cette comédie politique permanente, où chacun joue à faire croire qu’il est plus nombreux qu’il ne l’est. Et surtout, camarades… continuons de rire. Parce que là, vraiment, ils nous l’ont servie sur un plateau.

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