Par Mamadou Sèye
Le terrain politique sénégalais n’a jamais été aussi technique. À peine le nouveau régime a-t-il sifflé le coup d’envoi que déjà les cartons pleuvent, les simulations fusent, et la VAR — bien qu’imaginaire — est appelée toutes les deux minutes. Entre véritables fautes et comédie de surface, tout le monde joue pour gagner… même quand le match ressemble parfois à un championnat interquartiers.
Le Sénégal est en pleine Coupe du monde permanente. Les tribunes sont pleines, les commentateurs surexcités, et les supporters divisés en clans plus redoutables que les ultras du Clasico. Et dans cette grande mêlée, Ousmane Sonko fait figure de Lionel Messi : dribbleur invétéré, imprévisible, parfois solitaire, mais toujours au centre de l’attention. A la différence près qu’ici, le ballon, c’est la République.
Chaque geste du Premier ministre est décortiqué. Chaque sourire devient une posture politique. Et depuis qu’il a rendu visite à un militant en prison, le banc d’en face hurle à l’influence sur l’arbitre. On imagine presque un entraîneur de l’APR criant sur la ligne de touche : “Monsieur l’arbitre ! Il est hors-jeu moral !”
Mais dans ce match-là, la VAR est partout… et nulle part. Tout le monde veut sa version du ralenti : « Revenons sur les images ! », crie la foule numérique. Les juristes s’invitent sur les plateaux, les constitutionnalistes ressortent les règlements, pendant que les philosophes — que nous sommes, camarade — sirotent leur thé en regardant les commentateurs confondre faute et contact.
Mais alors, que juge-t-on ? L’intention ou le geste ? Le symbole ou la conséquence ? Visiter un militant emprisonné quand on est chef de gouvernement, est-ce un tacle dangereux ou un acte humaniste ? À ce niveau de jeu, la ligne est fine. Très fine. Trop fine, parfois.
Et ce n’est pas tout : il y a aussi ceux qui veulent jouer l’arbitre alors qu’ils sont à la retraite (on reconnaîtra les anciens présidents de fédération), ceux qui veulent relancer un nouveau club en pleine saison (l’ex-maire de Dakar qui sort son mouvement le jour du dialogue), et ceux qui, après avoir dominé le jeu pendant douze ans, refusent de participer au tournoi sous prétexte que l’arbitre ne les aime plus.
Soyons honnêtes : le football et la politique partagent un trait fondamental — la mauvaise foi. L’attaquant qui hurle à la faute alors qu’il n’a pas été touché est le cousin direct du politicien qui crie au complot chaque fois que la justice fait son travail.
Mais il y a aussi dans ce jeu une poésie du peuple. Le vrai public, celui qui n’est ni dans les loges VIP ni sur les plateaux télé. Celui qui, du haut de sa tribune de gorgorlu, veut juste que le jeu soit propre, que le terrain soit nivelé, et que ceux qui truquent la partie prennent un carton rouge. Lui n’a pas besoin de VAR. Il a ses yeux, son bon sens… et sa mémoire.
Alors, camarade, que le match continue. Mais qu’on n’oublie jamais ceci : au final, c’est toujours le peuple qui siffle la fin du jeu. Même si, parfois, il le fait après prolongations.