Par Mamadou Sèye
Il y a des vérités qu’aucune propagande ne peut étouffer. Celle que le FMI vient d’acter, en reconnaissant officiellement un “misreporting” du Sénégal, c’est-à-dire une fausse déclaration de dette, appartient à cette catégorie-là. Ce n’est pas une simple bavure comptable. Ce n’est pas non plus une erreur technique de chiffres ou de virgules. C’est un forfait d’Etat, un mensonge budgétaire d’ampleur historique, dont les conséquences politiques, morales et économiques vont hanter longtemps notre conscience nationale.
Quand un pays déclare des chiffres falsifiés au FMI, il trahit non seulement ses engagements internationaux, mais aussi et surtout la confiance de son peuple. Car derrière les formules froides du Fonds — “misreporting”, “data discrepancies”, “irregularities” — se cache une réalité brutale : des milliards contractés ou garantis au nom du Sénégal, mais en dehors de tout contrôle parlementaire, de toute transparence démocratique, et parfois, de tout bénéfice pour la Nation.
Le FMI, institution prudente entre toutes, n’emploie pas ce terme à la légère. Lorsqu’il le fait, c’est que la preuve est irréfutable. Des engagements financiers ont été dissimulés, ou des données volontairement maquillées, lors des précédents programmes de coopération. Autrement dit, le Sénégal a menti à ses partenaires financiers internationaux. Et quand un Etat ment au FMI, il ment à son peuple.
Ce scandale éclaire d’une lumière crue l’héritage d’une gouvernance qui a trop longtemps pris des libertés avec la vérité. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de dette, mais d’un effondrement éthique. Un pays qui maquille ses comptes trahit la règle la plus élémentaire de la gestion publique : dire la vérité sur l’argent du peuple.
Or, que nous dit le FMI aujourd’hui ? Que ce pays, que nous aimons, a présenté des rapports truqués. Qu’il a dissimulé une partie de sa dette, et donc de sa dépendance financière. Qu’il a triché avec la réalité pour maintenir l’illusion d’une stabilité artificielle. En clair, on a vendu au monde un Sénégal propre, quand la vérité sentait la fraude.
Et maintenant ? Maintenant, ce sont les citoyens qui paient. Payer pour une dette qu’on n’a pas contractée, qu’on n’a pas approuvée, et dont on n’a tiré aucun profit — voilà l’injustice absolue. On veut que le peuple rembourse la conséquence d’un mensonge d’Etat. On veut que la jeunesse assume les fautes d’une génération politique qui a préféré truquer les bilans plutôt que d’affronter la vérité. On veut que l’avenir paie le passé.
Mais le FMI, en reconnaissant le “misreporting”, a aussi ouvert la voie à une clarification sans précédent. Désormais, la vérité est officielle : il y a eu mensonge. Reste à savoir qui a menti, pourquoi, et au profit de qui. Et cette fois, il ne suffira pas de désigner des “techniciens” ou des “directeurs d’agence”. Les responsabilités sont politiques. Parce que la signature de l’Etat, ce n’est pas celle d’un fonctionnaire : c’est celle du gouvernement.
Le Sénégal, aujourd’hui, doit choisir entre le silence complice et la vérité courageuse. Soit on couvre le forfait au nom de la “stabilité”, soit on l’expose au grand jour au nom de la justice. Et il faut le dire sans détour : aucune stabilité ne vaut une vérité enterrée. Les peuples ne se lèvent pas contre leurs dirigeants parce qu’ils sont pauvres, mais parce qu’ils sont trompés. Le véritable danger, ce n’est pas la dette cachée ; c’est la vérité confisquée.
Il faut maintenant que la justice s’en empare. Que l’Etat exige des comptes. Que ceux qui ont dissimulé, falsifié, signé ou autorisé répondent devant la Nation. Ce n’est pas une vengeance, c’est une exigence morale. Car sans cela, le Sénégal enverra au monde le message le plus destructeur qui soit : qu’on peut trahir le peuple, mentir aux institutions, et dormir tranquille.
Les implications financières, elles, sont terribles. Le FMI peut — et c’est son droit — exiger des remboursements anticipés ou suspendre des lignes de crédit. Les agences de notation peuvent revoir leur confiance. Les investisseurs, désormais, liront entre les lignes de chaque communiqué : le Sénégal a déjà menti une fois. Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour regagner la crédibilité perdue.
Mais paradoxalement, cette épreuve peut devenir une chance. Car une transparence totale, assumée, pourrait redonner au Sénégal un prestige moral immense : celui d’un pays qui ose faire face à ses fautes. Les nouvelles autorités ont entre les mains une occasion rare : purger le mensonge, restaurer la vérité, reconstruire la confiance. Le monde pardonne les erreurs, jamais les dissimulations.
Et il faudra aller jusqu’au bout. Pas seulement avec des audits techniques ou des commissions consultatives. Il faut un audit citoyen de la dette. Que la société civile, les parlementaires, les économistes indépendants, les syndicats, les jeunes, tous, participent à l’autopsie de cette dette cachée. Que l’on sache d’où viennent les fonds, à quoi ils ont servi, et surtout, qui en a profité. Parce que la dette n’est pas un concept abstrait : c’est du travail futur qu’on hypothèque, c’est du sang économique qu’on aspire à la génération suivante.
Dans ce combat pour la vérité, il y aura des résistances. Les auteurs de ce crime financier ont encore des relais, des soutiens, des protecteurs. Certains tenteront de banaliser l’affaire : “Ce n’est rien, tous les pays font ça…” D’autres évoqueront des “malentendus techniques”. Mais non, camarade. Ce n’est pas un malentendu, c’est un mensonge planifié. Et ce n’est pas une erreur comptable, c’est un vol de souveraineté.
Car au fond, mentir sur la dette, c’est mentir sur la liberté. Quand on cache des milliards empruntés, on lie le pays à des engagements qu’il n’a pas choisis. On asservit le futur sans débat démocratique. C’est un crime silencieux, mais d’une gravité immense. Le FMI, en le confirmant, vient de lever un voile. A nous, désormais, de regarder la vérité en face.
Et qu’on ne s’y trompe pas : cette affaire ne se règlera pas dans les salons diplomatiques ni dans les conférences de presse feutrées. Elle se règlera dans l’arène morale de la Nation. Il faut des noms, des faits, des responsabilités. Il faut des sanctions exemplaires. Il faut, au bout du compte, que les auteurs de ce forfait paient, au lieu de faire payer tout un peuple.
La vraie question, au fond, est celle-ci : qui rembourse la dette du mensonge ?
Le peuple ? Les générations futures ? Ou ceux qui ont falsifié les chiffres pour préserver leurs privilèges ?
Si le Sénégal accepte de porter ce fardeau sans justice, alors il signera l’un des pires contrats moraux de son histoire : celui où le mensonge triomphe de la vérité. Mais si, au contraire, il choisit de faire de cette révélation un point de départ, un sursaut de probité nationale, alors cette crise deviendra une renaissance.
Le FMI a fait son travail : il a constaté. Il appartient désormais au Sénégal de réparer. Réparer la confiance, réparer la vérité, réparer l’honneur. Car aucune croissance, aucune stabilité, aucune diplomatie ne peut s’ériger durablement sur le mensonge.
Et dans cette bataille pour la vérité, il n’y a pas d’opposition ni de majorité : il n’y a que le peuple contre la trahison.
Le peuple du Sénégal, une fois encore, sera du côté de la lumière.